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Rubrique Kiosque arabe

Le maréchal dira-t-il me voilà ?

Du temps du parti unique, et même plus tard, dans notre simulacre de démocratie, on a essayé de nous persuader que nous étions un peuple cultivé et ayant du goût pour les belles choses. Nos dirigeants, jamais à court de fausses bonnes idées et convaincus de leur génie propre autant que de notre intelligence, nous rediffusaient les discours présidentiels à la télévision. Ces discours aussi longs qu’ennuyeux étaient surtout destinés à nous rappeler dans quelle galère nous étions embarqués, à défaut de meubler des journées de diffusion trop longues. Rediffuser les discours présidentiels, pour répondre à «la demande générale», selon l’expression consacrée, devait servir à resserrer, jusqu’à étouffer si nécessaire, le lien affectif avec le susdit. Mais avec l’arrivée des paraboles et de la télécommande, on s’est aperçu que les auteurs présumés de la demande générale préféraient suivre d’autres discours plus attrayants. Devant la désaffection générale et l’absence totale d’enthousiasme, voire de réactions de sympathie, les fabricants d’idées courtes ont dû se résoudre à susciter des demandes générales. Les bases militantes ont alors été instruites de formuler des demandes générales, mais pour des motifs plus précis, comme d’exhorter le Président à rester aux commandes de l’avion.
En général, des messages de soutien et des déclarations relayées par les médias lourds suffisent à emporter la décision, mais des mouvements de foule ne sont pas à dédaigner. Ils sont même parfois nécessaires, à la fois pour requinquer les partisans timorés et pour intimider la concurrence. Ému par le concert de louanges et les prières qui montent vers lui, le Président en exercice ne peut que répondre par l’affirmative à la demande générale et pour le salut du pays. C’est le processus que semble suivre actuellement l’Égypte du Président Sissi, dont le Parlement vient d’approuver un projet de réforme de la Constitution, portant sur les mandats présidentiels. Le projet, approuvé à une écrasante majorité de députés, devrait être soumis à référendum en mai prochain et faire de Sissi un Président à vie, avec six mandats en plus. Le maréchal Sissi, qui a destitué le Président intégriste Mohamed Morsi, en juillet 2013, a été élu président de la République en 2014 et a été réélu à cette fonction en mars 2018. Portée par la coalition parlementaire «Soutenir l’Égypte», qui est une coalition présidentielle, comme son nom ne l’indique pas, la réforme devrait permettre à Sissi de durer jusqu’en 2034. Les soutiens à la réforme ont expliqué que Sissi avait ramené la stabilité et qu’il devait rester au pouvoir pour continuer son œuvre. 
Cependant, la perspective du mandat à vie ne semble pas faire l’unanimité puisque des voix opposées s’expriment déjà. Dès le vote du Parlement, jeudi dernier, les réseaux sociaux se sont emparés du sujet et des internautes hostiles au projet ont posté des hashtags «non à la réforme de la Constitution». Chez les politiques, l’ancien candidat à l’élection présidentielle et prix Nobel de la paix Mohamed El-Baradei s’est élevé contre ce qu’il a appelé un viol de la Constitution. Le fondateur du parti Al-Destour a affirmé que cette réforme sera nulle et non avenue, qu’elle soit approuvée ou non. Au reste, a-t-il ajouté, il y a des dispositions de la Constitution qui sont injonctives et ne sont pas sujettes à réforme, imagine-t-on par exemple un référendum sur le rétablissement de l’esclavage ? De leur côté, plusieurs partis politiques et personnalités de la société civile ont lancé une pétition dans laquelle ils rejettent la réforme constitutionnelle. Les signataires affirment que ce projet constitue une violation de la Constitution et porte un coup au contrat social en vigueur dans le pays. Ils considèrent que les réformes proposées ne visent qu’à permettre à l’actuel Président de rester au pouvoir au-delà de deux mandats, prévus par la Constitution actuelle. Il s’agit également de renforcer les pouvoirs du Président, son emprise sur l’ensemble des institutions judiciaires, et d’empêcher toute alternance pacifique au pouvoir. 
Outre la concentration des pouvoirs entre les mains de l’exécutif, cette réforme ne va aboutir qu’à geler le projet d’édification d’un Etat civil, démocratique et moderne. Comme l’a noté auparavant Mohamed El-Baradei, les signataires rappellent que la Constitution actuelle interdit de réformer certains articles, comme celui concernant l’élection du Président. Une dizaine de partis politiques, dont le Parti nassérien en voie de formation, Al-Destour, et d’anciens ministres, ainsi que des juristes, ont déjà signé la pétition. Dans les médias arabes, la discrétion est de règle, hormis les journaux et les chaînes télévisées du Qatar qui se sont emparés de l’évènement, en raison de la crise actuelle entre les deux pays. Al-Jazeera en a fait le grand sujet de ses journaux et magazines, et son site internet fait une large place aux réactions hostiles à la réforme de la Constitution égyptienne en faveur de Sissi. 
Quant au quotidien Al-Quds, jadis mortellement patriote arabe, aujourd’hui simplement au service de son propriétaire le Qatar, il fait une large place à un article du New York Times. Le quotidien affirme, en effet, que c’est le fils en personne du Président Sissi, Mahmoud, un officier des services de renseignement égyptiens, qui dirige la campagne pour la réforme de la Constitution. Il affirme également que le Président égyptien s’est senti encouragé par les propos élogieux de Trump à son égard, et il sait que les Etats-Unis ne s’opposeront pas au prolongement de ses mandats. Du côté de la présidence égyptienne, c’est le silence habituel qui sera sans doute rompu avec une allocution de Sissi, disant qu’il répondrait à «la demande générale». Pour rappel, le même Sissi, interrogé en novembre 2017 par la chaîne américaine CNBC, avait affirmé qu’il n’avait pas l’intention de réformer la Constitution. Il avait ajouté qu’il refuserait éventuellement un troisième mandat. Juste un détail utile à
ajouter : Sissi est aujourd’hui âgé de 64 ans seulement, et il paraît être en bonne santé, puisqu’il va beaucoup à l’étranger. Reste à savoir si en 2034, les Égyptiens seront plus heureux ou plus malheureux que nous. 
A. H.

 

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