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Rubrique Kiosque arabe

Mêmes causes, mêmes alliances, etc.

Le Liban, champ clos des rivalités entre pays et dirigeants arabes, d'abord sur le terrain idéologique, puis avec d'autres arguments plus convaincants et plus meurtriers, les guerres. Ces guerres ont eu plusieurs visages, avec en toile de fond la grande guerre civile, de 1975 à 1990, ses batailles de milices et ses attentats meurtriers, mais aussi l'invasion par Israël en 1982.  Pour ceux qui aiment Nizar Qabani et même pour ceux qui l'aiment moins, c'est durant cette guerre que sa femme, irakienne, a péri dans l'explosion de l'ambassade d'Irak à Beyrouth. L'attentat a eu lieu le 15 décembre 1981 et il a fait des dizaines de morts, dont Balqis, l'épouse de Qabani, le grand poète qui était syrien, si ça peut aider à deviner qui est l'assassin. C'est aussi durant cette guerre civile qu'est née et a prospéré à l'ombre de la milice chiite une organisation armée, le Hezbollah, devenu, avec les moyens de l'Iran, un État dans l'État. On ne parle plus qu'en guise de rappel, comme on citerait un hadith, de résistance à Israël et de destruction de l'État sioniste, mais de réduire l'influence sunnite au Liban et en Syrie. Mais le Hezbollah a sans doute trop présumé de ses forces et il en a gaspillé beaucoup pour venir en aide à Bachar Al-Assad en Syrie, et c'est ce qui expliquerait l'agressivité de son discours. 
«Il faut craindre le Hezbollah, au moment où il est en train de chuter et non pas au moment où il est en pleine ascension», a déclaré récemment aux journalistes un chef religieux chiite. Ce que les confrères ont interprété comme le signe que le Hezbollah a fini de manger son pain blanc et qu'il réagit désormais comme un animal blessé en usant encore de plus de violence. Sinon comment expliquer ce commentaire publié sur Twitter, puis retiré, juste après l'assassinat du journaliste et polémiste libanais Salim Loqman, retrouvé mort jeudi dernier ? Le Twitt, publié par le site libanais Shaffaf, disait ceci : «La perte de certains est en réalité une aubaine et une bénédiction inattendues.» Message suivi du hashtag «Sans regrets», et il était signé de Djawad Nasrallah, digne fils de Hassan. Pour ceux qui ont encore de la mémoire, ce texte rappelle étrangement le commentaire de Tahar Ouettar, ancien commissaire politique du FLN, après l'assassinat de Djaout. Cette parenthèse vite refermée, précisons que Djawad Nasrallah ne fait pas profession de détester les Américains comme le fait son père, mais ce sont les Américains qui le détestent. À tel point qu'il figure dans les listes des terroristes répertoriés par Washington et qu'il affirme régulièrement avoir échappé à des tentatives d'attentat, ourdies par les ennemis de Dieu. 
Dans l'entendement de l'intégrisme chiite, comme dans l'islamisme sunnite, les ennemis de Dieu ne sont pas forcément américano-israéliens, mais peuvent être plus souvent le voisin de palier. Or, Salim Loqman était non seulement voisin de palier du Hezbollah, mais aussi un frère en confession, ce qui le prédisposait à être la victime idéale d'un djihad à vocation familiale. Il vivait et activait au sein de la communauté chiite dans les quartiers sud de Beyrouth, à Harat Harik, et dans le fief du Hezbollah où il avait déjà subi menaces et hostilités. En décembre 2019, il avait déjà publié une première alerte dans laquelle il faisait état de dégradations et d'affichettes menaçantes, sur les murs de sa maison qui abritait aussi ses activités. Cette maison où il résidait avec sa femme, la cinéaste Monika Borgman, était aussi le siège de sa maison d'édition Dar Al-Djadid et de l'association qu'il avait fondée Hayya Bina. Dans sa lettre d'accusation, il faisait porter la responsabilité de ce qui était advenu à sa maison et de ce qui pourrait arriver à sa personne et à sa famille à MM. Nasrallah et Berri. Le premier est, comme on le sait, le chef suprême du Hezbollah, le second, Nabih, est le patron de la milice Amel, jadis conquérante, aujourd'hui déclinante, et il est aussi président du Parlement. Les deux sont inamovibles.
Salim, c'est aussi le prénom d'un autre journaliste célèbre, lui aussi et jusque dans le monde arabe, puisqu'il s'agit de Salim Ellouzi, fondateur et rédacteur en chef de la revue Al-Hawadith. C'est également au mois de février qu'il a été assassiné, après son enlèvement sur la route de l'aéroport de Beyrouth, d'où il allait prendre l'avion de retour pour Londres, où il résidait. En dépit des menaces qui pesaient sur lui et sans tenir compte des avertissements de ses amis, Salim Ellouzi avait fait le voyage à Beyrouth, pour assister à l'enterrement de sa mère. Ses assassins l'ont effectivement laissé enterrer sa mère, mais ils l'attendaient sur le chemin du retour, le 25 février 1980, et il avait été horriblement torturé, d'après les traces sur son corps. Sa dépouille avait été retrouvée une semaine plus tard, et sa main droite avait été presque entièrement brûlée à l'acide, pour bien signifier que c'est l'homme de plume qui était la cible. C'est à partir de Londres que Salim Ellouzi éditait son hebdomadaire qui occupait  une place de choix à l'époque et où ses éditoriaux étaient ouvertement hostiles au régime de Damas. Comme la méthode désignait clairement les assassins, la justice libanaise n'a pas jugé nécessaire d'ouvrir une enquête sur cet assassinat, et il n'est pas sûr qu'elle le fasse pour celui de Loqman. 
Qu'ils aient agi sur l'ordre de Hafedh Al-Assad ou d'un autre commanditaire, ceux qui ont assassiné Salim Ellouzi ont fait coup double, puisqu'ils ont aussi signé l'arrêt de mort de son journal. L'objectif de ceux qui ont tué Salim Loqman étant visiblement le même, il faut espérer que la mort d'un journaliste n'entraîne pas fatalement la disparition d'un  journal ou d'une œuvre. Ce serait à désespérer de l'humanité si les mêmes causes continuaient à nouer les mêmes alliances et à produire les mêmes effets destructeurs.
A. H.

 

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