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Rubrique Kiosque arabe

Ne chassez pas le naturel !

Ne vous étonnez pas si nos pèlerins, surtout les plus jeunes, de retour de La Mecque se comportent de façon encore plus étrange qu'avant avec leur entourage féminin. Vous allez sans doute apprendre que tel hadj, nouveau ou récidiviste, a ordonné à sa femme ou à sa fille de ne plus travailler, parce que l'Islam l'interdit. Rien de plus normal pour un Algérien d'aujourd'hui, nourri au biberon wahhabite et s'y accrochant comme un bébé à son vieux jouet, même s'il est aussi dangereux que périmé. La référence n'est plus la Parole de Dieu, ânonnée plus qu'entendue et assimilée, mais l'explication qu'en donnent les supposés représentants de la providence divine. C'est l'un de ces cheikhs, plus résistants aux aléas du temps que les dinosaures, qui s'est emparé à nouveau du sujet religieux préféré de nos imams wahhabites, celui de la femme. C'est lors du sermon de la prière de l'Aïd à Djeddah qu'un imam saoudien a remis du baume au cœur de tous les misogynes frustrés en invectivant les jeunes femmes qui travaillent. S'en prenant plus directement aux femmes, employées comme vendeuses dans les magasins, cet imam est allé jusqu'à les assimiler à des prostituées qui font commerce de leurs charmes. « La femme vertueuse meurt de faim, mais ne mange pas avec ses seins », autrement dit, elle ne se prostitue pas, a-t-il affirmé.
Ce proverbe arabe est assimilé abusivement à un hadith, parce que les imams y ont souvent recours pour justifier l'interdiction de la prostitution en Islam, au nom de la vertu. Ce discours, d'une virulence inusitée, surtout depuis que l'Arabie Saoudite s'est engagée dans un cycle de mesures en faveur des femmes, a suscité une certaine polémique. Il serait d'ailleurs passé inaperçu si parmi les fidèles qui suivaient le sermon ce jour-là, il n'y avait une jeune Saoudienne, précisément vendeuse, et scandalisée par le langage. Elle raconte qu'elle savait par expérience que le sermon de l'Aïd allait certainement évoquer les femmes, comme d'habitude, et elle avait décidé de l'enregistrer et de diffuser des passages. « J'étais très pessimiste, dit-elle, parce que, chaque année, on parle des femmes dans les sermons de l'Aïd, et je m'étais préparée à enregistrer des vidéos, sachant que ce sujet serait abordé.» La jeune femme a été particulièrement choquée, non seulement en raison de la teneur du sermon et du vocabulaire utilisé, mais aussi à cause de la cruauté inattendue du propos. Mais ce qui l'a le plus choquée dans l'évènement, c'est que l'imam a terminé son sermon sans qu'aucun des fidèles présents ait osé l'interrompre et mettre fin à cette diatribe.
Revenant sur ces faits qui ont suscité, selon lui, la colère de la majorité des Saoudiens, l'éditorialiste du quotidien Al-Charq Al-Awsat y voit un indice de bonne santé. Il rappelle, en effet, qu'il y a quelques années à peine un tel discours serait passé inaperçu, tellement il était courant et initié par les Frères musulmans, avec leur appendice «sorrouriste».(1) « En fait, note-t-il, nous avons connu des paroles, des conférences, des publications, et même des programmes télévisés autrement plus virulents que les propos de l'imam de Djeddah. C'est le moment ou jamais, d'ailleurs, de réunir tous les documents et les ouvrages de référence, aussi bien sunnites que chiites, en la matière afin de ne pas répéter les mêmes erreurs .» Pour notre confrère, l'heureuse nouvelle vient du fait que c'est la justice saoudienne qui a pris l'initiative d'ouvrir une enquête(2) sur ce prêcheur qui incite contre la femme travailleuse. Selon les premiers éléments de l'enquête en cours, l'imam en question, dont le nom est toujours inconnu, n'aurait pas été autorisé à officier par les autorités religieuses. Pour le quotidien saoudien de Londres, la grande leçon qu'il faut retenir de cet évènement, ce sont les réactions unanimes de rejet d'un tel discours par les citoyens saoudiens.
Ce qui signifie qu'il y a désormais un esprit nouveau(3) chez les Saoudiens, et cela est plus important que toutes décisions qui peuvent être prises. « Mais il faut rester prudent et surtout vigilant, car les sentinelles de l'obscurantisme ne dorment jamais », conclut l'éditorialiste. Toujours dans le sillage de la prière de l'Aïd, les réseaux sociaux se sont emparés d'une photo montrant un citoyen égyptien faisant ses dévotions à califourchon sur sa mobylette. À première vue, on pouvait penser que cette prière peu orthodoxe était dictée par le souci du fidèle de ne pas perdre de vue son moyen de transport et se le faire voler. En fait, il s'agissait simplement d'un monsieur qui avait un mal de dos récurrent qui ne lui permettait pas de prier debout, et comme il n'avait pas trouvé de siège, il a prié assis sur sa mobylette. Au lieu de considérer la chose avec humour, Al-Azhar a préféré se lancer dans un débat avec les internautes tatillons qui ont mis en doute la validité de la prière du motocycliste. Ne chassez pas le naturel, il pourrait revenir en pire !
A. H.

(1) Le sorrourisme, du nom de son fondateur, le frère musulman syrien défroqué, Mohamed Sorrour, est très influent en Arable Saoudite, et les autorités saoudiennes le considèrent comme le plus extrémiste des courants intégristes.
(2) Non contents de nous avoir inculqué les rudiments de base du wahhabisme, mâtiné de « badissisme », par leurs théologiens, voilà que les magistrats saoudiens se mettent aussi à donner des leçons aux nôtres.
(3) Il serait très intéressant d'avoir les réactions de nos hadjis qui ont pu suivre le sermon de cet imam qui officiait à Djeddah.
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