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Rubrique Kiosque arabe

On en rêve, ils le font !

On rêvait de mettre le FLN au musée, le FLN, un parti qui a trahi en route l'ALN, et enterré ses idéaux, le FLN sellé et harnaché qui a servi de monture à Bouteflika, pour quatre mandats. On rêvait de renvoyer à la matrice originale d'où il a surgi, en costume et moustaches au complet, le RND qui a donné la réplique au FLN, pour nous jouer la grande tragédie du siècle.
On en rêvait, on en rêve encore, et le Soudan l'a fait : le gouvernement vient d'envoyer le parti du despote déchu, Omar El-Béchir, non pas au musée, mais au néant d'où il n'aurait jamais dû sortir. Jeudi dernier, les autorités ont annoncé la dissolution du «Congrès national», le parti qui a régné sans partage sur le Soudan, durant plusieurs décennies, volant et pillant sans retenue. Pour ce parti de milliardaires, le coup le plus dur a été surtout la saisie des biens accumulés illégalement, et pour l'essentiel des sommes faramineuses, provenant de l'étranger. Car, non content de saigner ce pays pauvre aux quatre veines, le parti islamiste d'El-Béchir recevait d'énormes subsides, provenant surtout de la part des pays du Golfe. Frappés au portefeuille, les dirigeants du parti qui tenaient encore le haut du pavé, même après la chute de leur chef, se voient aussi privés d'autres opportunités de se régénérer. Il leur est interdit, désormais, d'exercer une quelconque activité politique, durant dix ans.
Jusqu'à jeudi dernier, le parti islamiste qui contrôlait les mosquées, en plus de tous les locaux et propriétés immobilières dont il disposait, ne se considérait pas comme un parti déchu. Bien au contraire, il critiquait ouvertement la composante et les décisions du gouvernement de transition, et notamment la déclaration constitutionnelle,(1) «non conforme à la Charia». Ceci, parce que cette déclaration ne se référait pas à la Charia, source de toutes lois, comme le faisait la Constitution assaisonnée par El-Béchir, et qui se privait rarement du plaisir de la violer. Comme tout parti unique et totalitaire, qui garde son arrogance même lorsqu'il est au banc des accusés, le parti dissous faisait référence aux libertés qu'il avait piétinées pendant 30 ans.(2) Outre la dissolution par voie de justice du «congrès national», le gouvernement a annoncé la suppression d'une des lois liberticides, concoctée sous son égide et destinée à réprimer la femme. Inspirée de la Charia, selon ses initiateurs, cette loi a été votée en 1992 et d'abord appliquée à la seule capitale Khartoum, avant d'être étendue à toutes les provinces soudanaises. En vertu de cette loi, le simple port d'un «jean» pouvait être considéré comme un attentat public à la pudeur et pouvait valoir à une femme d'être arrêtée, fouettée en public,(3) voire emprisonnée.
Des milliers de femmes ont été ainsi emprisonnées et soumises à la flagellation pour «tenue indécente» ou simplement pour avoir participé à une réunion publique ou à des fêtes privées.(4) L'abrogation de cette loi et d'autres dispositions légales restreignant les droits des femmes était l'une des promesses faites par les dirigeants de la révolution soudanaise durant le «Hirak». Pour la première fois, d'ailleurs, elles étaient des centaines, lundi dernier à Khartoum, au rassemblement de la Journée internationale pour l'élimination de la violence contre les femmes. «C’était un outil d’exploitation, d’humiliation, de violation des droits et de la dignité», a déclaré le chef du gouvernement de transition, Abdallah Mohsen Hamdok. Toutefois, des membres de la société civile ont estimé que l'abrogation de cette loi était insuffisante, au regard d'autres dispositions du code pénal soudanais, comme la flagellation. La militante des droits des femmes, Hala Karib, est plus catégorique et elle estime que le gouvernement n’est pas allé assez loin malgré les promesses du Premier ministre de défendre les droits des femmes. «On a l’impression qu’ils ont voulu essayer de satisfaire la rue en faisant disparaître certaines choses comme la police des mœurs, mais qu’ils n’ont pas voulu aller jusqu’au bout», a-t-elle affirmé.
En dépit de ces réserves, il est évident que le gouvernement de transition a ouvert aussi d'autres chantiers destinés à éradiquer l'influence islamiste dans tous les secteurs. Cela dit, il ne faut pas perdre de vue que l'autorité de transition est une instance de partage du pouvoir et que des Omar El-Béchir doivent sommeiller encore dans les casernes.
A. H.

(1) Dans un pays sérieux, on ne gouverne pas selon la Constitution rédigée par et pour le Président que l'on vient de destituer, surtout si la destitution a pour objectif de changer la nature du gouvernement.
(2) La réaction officielle du «Congrès national» à la déclaration est un vrai morceau d'anthologie, appelé à figurer dans les annales, puisqu'elle met aussi en garde contre les dangers de la dictature et du pouvoir monolithique. Ce à quoi peuvent se résumer les trente années d'exercice du pouvoir par El-Béchir et son parti.
(3) En 2009, la journaliste Loubna Ahmed Hussein avait été condamnée à quarante coups de fouet pour avoir simplement porté un pantalon, alors que partout ailleurs jean moulant et voile sortaient en couple.
(4) Une des grandes contradictions de ce système qui se targuait de religiosité et de Charia : les boissons alcoolisées étaient interdites officiellement, mais autorisées pour les élites. Des centaines de bouteilles de boissons alcoolisées et spiritueux ont ainsi été découvertes dans le palais d'El-Béchir. Comme quoi, ça ne se passait pas uniquement dans les villas de Haddad et consorts, et ça prouve aussi que le monde musulman a encore ses bons vivants.

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