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Rubrique Kiosque arabe

Quand le Hirak s'invite à la CAN

Parlons football puisque les lampions de la fête ne sont pas encore tout à fait éteints, le football, c'est le nouvel opium des peuples, pour les uns, ou un stimulant majeur, selon d'autres. On a beaucoup investi cette année dans le phénomène football, et les foules se sont passionnées plus que de mesure sur cette CAN, que l'Algérie a gagnée une seule fois en 1990. Il est vrai que l'enjeu était autrement plus important en ce mois de juillet 2019, puisque les plus enthousiastes sont allés jusqu'à lier le sort de la révolution à la compétition africaine. Ainsi, c'est au cours de cette CAN 2019 en Égypte que l'équipe nationale allait donner un élan décisif au Hirak, et faire aboutir les revendications brandies par les manifestants depuis le 22 février. Tout dépendait, donc, du comportement d'une équipe de onze joueurs sur le terrain, et qui ignorait, sans doute, que le destin de son pays allait se jouer sur un corner ou sur un coup-franc. Les plus suspicieux soupesaient le pour et le contre : est-ce qu'une victoire de l'EN n'allait pas démobiliser le Hirak, et, bouffées d'euphorie, surmonter l'échec des lacrymogènes ? Est-ce que le régime n'allait pas exploiter, selon son habitude, l'effet démobilisateur d'une victoire et profiter, comme toujours, des exploits de nos footballeurs, au détriment du pays et du peuple ?
Jusqu'à la veille de la finale tant attendue, les supporters algériens étaient partagés entre deux sentiments contradictoires : oui, il faut gagner la Coupe d'Afrique, synonyme de victoire du Hirak. Non, il ne faut pas que le pouvoir en profite et il ne faut surtout pas que «nos joueurs» se prêtent au spectacle médiatique que le pouvoir ne manquera pas d'organiser, en cas de victoire. D'aucuns n'ont pas hésité à interpeller les joueurs sur les réseaux sociaux, en leur rappelant ce que le Hirak a fait pour eux et en leur demandant de boycotter les officiels lors du show final. Toujours est-il que le mouvement du 22 février, qui peine à se trouver des représentants, s'est retrouvé avec des milliers de porte-parole qui ont écumé la toile et dirigé l'équipe sur leurs écrans. Il faut reconnaître au chef d'État, au long et extensible intérim, qu'il exerce certaines de ses fonctions avec un rare culot et qu'il paraît impavide devant les appels à se démettre. Il y a sans doute un certain courage dans cette façon d'affronter la volonté populaire qui lui crie de partir depuis qu'il a pris ou reçu ses fonctions de chef de l'État transitoire. On pourra invoquer, en guise d'explication, le souverain mépris que le régime et son dernier potentat Bouteflika éprouvent et professent pour ce peuple qui revendique l'indépendance.
Bensalah, visiblement exténué, a donc fait le voyage du Caire pour encourager le groupe Algérie, à la veille de la finale, et il a apparemment réussi puisqu'on a quand même gagné. La suite est moins joyeuse puisqu'à la remise des trophées, le chef d'État à durée indéterminée, supposé représenter l'Algérie, s'est retrouvé aligné avec des responsables du football mondial. Il est vrai qu'il a fait un peu mieux que Zetchi puisqu'il a été placé en deuxième position, juste après le président de la FIFA, et qu'il a relégué loin derrière le président, contesté, de la FAF. En résumé, l'Algérie a gagné sa deuxième étoile, avec ou sans Bensalah, et le pouvoir, qui sait organiser des ponts aériens quand la situation l'exige, a su tirer la couverture à lui. Côté égyptien, il faut tout de même féliciter le pays organisateur qui a tenu la barre jusqu'au bout, en dépit du petit incident qui a opposé des stadistes trop zélés à certains de nos joueurs. L'Égypte aurait pu aller en finale, mais son équipe, où aurait dû briller un certain Salah, a littéralement implosé du fait de problèmes internes, et elle a quitté la compétition trop tôt.
Tout comme son équipe, privée de terrains, le public égyptien a déserté les gradins, et certains matchs se sont joués devant un public clairsemé, composé surtout de supporters des pays en lice.
On a parlé de cherté des places de stades pour justifier le peu d'engouement des Égyptiens pour les rencontres de la CAN, mais, dans ce pays, on ne se déplace que pour les «Pharaons». La preuve, c'est que le Président Sissi n'a pas daigné se déplacer au Stade national du Caire pour assister à la finale, ce qui aurait, sans doute, changé le protocole, en faveur de M. Bensalah. Mais le chef d'État égyptien s'est abstenu, et en connaissance de cause, semble-t-il, puisque certaines chaînes, bien financées et malintentionnées, ont appelé à manifester contre lui. L'un des agitateurs de la chaîne Al-Magharibia, ex-diplomate en mal de poste, a appelé directement les supporters algériens à s'en prendre à Sissi, s'il se hasardait à venir au stade. En réalité, ce ne sont pas d'éventuels slogans hostiles qui ont incité Sissi à bouder la finale, mais la crainte de se retrouver comme seul chef d'État élu à la tribune officielle. Sissi a une très haute idée de lui-même, idée hissée et maintenue au sommet par l'appareil médiatique, et il se considère comme un zaïm, plébiscité pour les 32 ans à venir. Vu son âge, il a du temps devant lui, mais très peu de temps à consacrer à des interlocuteurs ou à des évènements d'où les grosses pointures du gotha politique sont absentes. Le peu que je sais de lui m'autorise à penser qu'il a surtout voulu éviter un tête-à-tête avec Bensalah.
Toujours en marge de cette finale, des fake news alarmistes avaient circulé, la veille de la finale, annonçant une attitude hostile à l'Algérie, voire des agressions de la part des Égyptiens. Il n'en a rien été, puisque les rares Égyptiens présents au stade étaient noyés dans la masse des supporters algériens et sénégalais, même si ceux du côté sénégalais étaient beaucoup plus visibles. Cette neutralité, par défaut, des Égyptiens a d'ailleurs été traitée par Belmadi avec un humour qu'on ne lui connaissait pas : il a affirmé, en réponse à une question bateau d'un confrère égyptien, que sa vue devait baisser puisqu'il n'a pas vu des Egyptiens encourager l'équipe algérienne. On l'a constaté aussi : Omdurman reste un souvenir cuisant.
A. H.

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