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Rubrique Le Soirmagazine

C’est ma vie Ali ou la manne des olives

Par Abdelkader Maidi
Vers la fin des années 38, Ali décida, sur un coup de tête, de quitter son village natal, dans la région des Aurès. Le jeune homme, âgé d’à peine 20 ans, n’avait aucune idée sur la direction qu’il devait prendre.
Voulait-il rejoindre Alger, sinon l’une des grandes villes limitrophes : Batna, Biskra ou Constantine, à la recherche d’un emploi lucratif ? Avec du recul, personne ne pourra l’affirmer ; toutefois, tout en marchant, il prit sans le savoir la direction du Levant.
Au tournant d’un chemin, il fit de l’auto-stop et c’est un commerçant ambulant, qui proposait des œufs du jour, qui le prit dans sa vieille guimbarde, pour le déposer à une bonne distance de là.
Alternant stop et marche à pied avec quelques petites pièces de monnaie en poche, il se retrouva après quelques jours d’errance à la frontière tunisienne. Ali qui, un jeune homme dynamique et ambitieux, qu’absolument rien ne peut décourager, pénétra dans le pays voisin, peut-être même sans le savoir.
Il faut signaler au passage, qu’en cette période d’incertitude, bien avant la Seconde Guerre mondiale, l’Algérie et la Tunisie formaient presque un même territoire, puisque les deux pays étaient administrés par les Français. Notre pays colonisé, la Tunisie sous protectorat. Donc le tracé des frontières n’était pas pour autant matérialisé, du moins approximativement.
Poussé par un réel élan d’aller toujours de l’avant, il regagna la capitale, Tunis, en utilisant les mêmes moyens et là, il s’attela tant bien que mal à trouver du travail pour pouvoir survivre décemment, sans aller jusqu’à tendre la main.
De petits boulots en petits boulots, il vivotait tant bien que mal, jusqu’au jour où il se fera embaucher chez un riche Tunisois, qui commerçait dans la cueillette, la conservation et la vente des olives.
L’employeur en question possédait un immense dépôt, dans lequel s’affairaient des ouvriers qui procédaient à un tri strict du fruit, pour ne garder qu’un produit sain qui respecte, cela va sans dire, les règles d’un calibrage bien défini. Le reste est pratiquement jeté à la décharge publique. Ali, qui a donné entière satisfaction à son patron, a été autorisé à demeurer sur place. Il dormira dans le hangar même, du fait qu’il ne pouvait justifier d’un domicile fixe.
Une façon de disposer d’un employé permanent et disponible à tout moment, qui pourra veiller sur les installations et en même temps disposer de bras valides, en cas d’un chargement, sinon d’un déchargement qui surviendrait après les heures de travail, donc après le départ des ouvriers.
Cependant, Ali se fatiguait beaucoup. Trop même, du fait qu’il travaillait sans relâche. En cette période de récession, une période des vaches maigres, trouver un job facile ou pas, surtout dans un pays frère où la conjoncture économique et sociale était également difficile, n’était pas une sinécure, loin s’en faut.
Alors, le matin, à l’arrivée des ouvriers, le portail restait clos car Ali dormait à poings fermés, que même un bon coup de canon ne pouvait le réveiller et le faire sortir de son profond sommeil.
Il fallait cogner sérieusement sur la porte et hurler jusqu‘à déranger le voisinage, pour arriver à le délivrer de sa longue léthargie afin que les employés puissent regagner leurs postes de travail, avec naturellement un retard assez conséquent qui s’amoncelait de jour en jour.
Le patron se retrouva soudain face à un dilemme de poids : fallait-il congédier cet employé de surcroît venu d’Algérie, qu’il trouve cependant dynamique et sérieux, ou bien le garder contre l’avis des autres ouvriers qui font le pied de grue chaque matin que Dieu fait, jusqu’à s’attirer les foudres des voisins mécontents du vacarme récurrent qu’ils généraient au lever du soleil.
Las de ce souci inopportun qui pénalisait sérieusement son commerce, il eut, après un temps de réflexion, une idée d’une ingéniosité déconcertante : il insista auprès de Ali pour qu’il attache tout simplement une longue corde à l’un de ses deux pieds, bien avant de sombrer le soir dans les bras de Morphée, et de glisser ensuite l’autre extrémité sous le portail métallique donnant sur la rue, par lequel entrent les employés à leur arrivée.
De cette façon, le premier des ouvriers qui se présentera de très bonne heure au dépôt n’a qu’à bien tirer sur la corde pour réveiller Ali et le voir enfin ouvrir la porte d’entrée, solidement verrouillée de l’intérieur.
Le travail se déroulait sans accroc et le patron était plus que satisfait de cet Algérien, qui donnait le meilleur de lui-même. Les prémices d’une guerre mondiale s’annonçaient à pas de course et tout un chacun essayait de stocker comme il le pouvait des provisions, afin de faire face à d’éventuelles pénuries.
Une pareille perspective a fait germer une idée dans la tête d’Ali, comme si le jeune homme appréhendait un bouleversement planétaire d’une grande ampleur. Un jour, prenant son courage à deux mains, il sollicita tout simplement son employeur afin de l’autoriser à détourner à son profit les olives de choix inférieur, d’habitude destinées au dépotoir communal.
Il reçut séance tenante une réponse favorable, car de cette manière la direction pourra économiser, et les coûts du transport vers la décharge publique du produit inadapté à la vente, et d’éviter par là de payer la taxe obligatoire afférente à son stockage sur le site en question.
Ali prit soin de conditionner ainsi le fruit déclassé, toutefois cédé gracieusement dans des sacs en jute, qu’il emmagasina dans un garage loué à quelques centaines de mètres du dépôt chez un particulier, à ses frais naturellement. Dès que le conflit armé mondial éclata, une pénurie sans pareille s’ensuivit immédiatement. Elle touchera la presque totalité des denrées alimentaires couramment consommés par la population. Cette période sera surnommée, à juste titre du reste, «les années du bon», où tout achat est subordonné obligatoirement à l’obtention d’un bon délivré par les autorités militaires compétentes de l’époque.
Comme disait l’adage : «A quelque chose malheur est bon !» Donc la chance finira par sourire à Ali : des milliers de soldats américains de la 7e armée débarquèrent à Tunis en 1943. Leur nombre avoisinait les 15 000, certains parlaient de 30 000, afin de réparer l’affront de la bataille de Kasserine, face au général allemand Rommel et envahir ensuite l’Italie, à travers la Sicile. Donc il fallait bien nourrir toute cette immense troupe.
C’est l’instant propice que choisira Ali pour mettre sur le marché les tonnes d’olives, qu’il avait soigneusement entreposées depuis un bon moment dans un hangar, alors qu’il n’y a pas si longtemps, certains voulaient s’en débarrasser comme étant de vulgaires fruits impropres à la consommation, alors que ce n’était pas du tout le cas.
A la fin des hostilités, Ali, qui convolera entre-temps en justes noces en Tunisie, se retrouva, grâce à sa bonne étoile, avec un consistant pactole, qu’il fructifia par la suite en se lançant dans le créneau porteur de l’agroalimentaire entre autres la conserverie : tomate, harissa, olives, etc.
Ali qui a rejoint le Seigneur depuis, que Dieu agrée son âme au Paradis, était de son vivant un fervent militant de la cause nationale. Dès le déclenchement de la guerre de libération, il se portera volontaire pour assister ses frères au combat, en mettant à leur disposition ses dépôts et tous les biens qu’il possédait dans le pays voisin, en approvisionnant les bases de l’Est en produits alimentaires et médicaments.
A son retour au pays avec sa famille à l’indépendance de l’Algérie, toute cette smala a continué à être surnommée, familièrement du reste, «Twinssa», traduire par là les «Tunisiens», alors que Ali de son vivant n’a jamais accepté de troquer sa nationalité pour une autre, fût-elle celle qui l’a généreusement hébergé pendant les moments difficiles.
Il a laissé à ses enfants une fortune colossale, dont les premiers centimes ont été obtenus grâce à la baraka du Seigneur, à la tenace persévérance d’un «Chaoui» borné, mais néanmoins courageux et aux olives de qualité moyenne… dont personne ne voulait !
Il faut savoir enfin qu’un film américain à grand budget sur le général Patton sera tourné pour une grande partie en 1970, par pure coïncidence... à Timgad, dans la région des Aurès, de là où est parti un jour Ali rejoindre la Tunisie, le pays de sa fulgurante réussite ! Ce film obtiendra 7 oscars en 1971.

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