Depuis le début du Hirak, Khadidja, la soixantaine bien entamée, ne rate aucun rendez-vous. Elle «vendredit», un nouveau verbe qui se conjugue à toutes les personnes, créé à l’occasion du mouvement populaire et qui signifie «sortir manifester». Et bien, Khadidja est une inconditionnelle du «vendredir».
Réveil, 6h du matin. Après avoir siroté un café bien serré, histoire de se booster, elle entame la préparation du déjeuner et du dîner. Et bien, vous l’avez deviné, au menu, couscous garni de légumes, agrémenté d’un bon morceau de veau. Depuis le vendredi d’avant, elle a abandonné son mesfouf, les fèves n’étant plus tendres.
La maisonnée est encore dans les bras de Morphée. C’est mieux ainsi, personne ne la dérange. Elle s’enferme dans la cuisine et se met à la tâche. En une heure, tout est prêt. Les odeurs d’une sauce relevée et alléchante embaument l’appartement et titillent les papilles. Sa mission accomplie, elle ôte son tablier, éteint ses fourneaux et s’adresse à son époux, le premier à faire irruption dans son laboratoire. Il découvre la marmite et hume les senteurs.
- Moi, j’ai terminé mon travail. Je vais me préparer. Je dois passer chez Meriem. On a décidé d’aller à pied jusqu’à la place Audin, histoire de faire de l’exercice.
- De Chevalley ! Tu es sûre ?
- Je ne suis pas encore croulante.
Khadidja se dirige vers sa chambre où, la veille, elle a soigneusement étalé son survêtement sur une chaise et son drapeau bien repassé. Elle déteste voir des emblèmes froissés. Elle s’habille, puis vérifie son attirail avant de le ranger dans son sac à dos : bouteille de vinaigre, masques chirurgicaux, coton, papier, dattes, biscuits, eau, casquette. Tout y est. «J’ai failli oublier mon médicament contre l’hypertension et ma pancarte. Parfait.»
Il est 9 heures. Avant de sortir, elle donne les dernières consignes à son époux.
- N’oublie pas de fermer le gaz et, surtout, veiller à ce que la cuisine reste nette. Tu réveilles Amina, qu’elle prenne des chapeaux pour ses enfants, il va faire chaud. Ne laisse pas les garçons dormir jusqu’à 11h. Restez ensemble, ne vous dispersez pas. Dès que vous arrivez à Audin, vous m’appelez, je serais près de la bouche de métro.
Les rues d’Alger sont encore vides ; Amina et Khadidja entament leur «marathon» avec autant d’enthousiasme et de détermination. Elles «vendredisent», indéfectibles.
