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Rubrique Les choses de la vie

Adorateurs du cadre en bois, arrêtez SVP !

Changement par-ci, changement par-là... La nouvelle équipe au pouvoir met les bouchées doubles pour montrer sa volonté de passer à la vitesse supérieure dans son action multiforme de rupture avec l'ancien pouvoir. Mais ces efforts ne semblent pas encore bien assimilés par l'opinion publique quand ils ne sont pas simplement rejetés par le Hirak. Il y a un problème ! Nous avons cherché à comprendre pourquoi ça passe mal et nous avons trouvé. Suivez bien le JT de l'Unique ainsi que les bulletins d'info des chaînes pirates labellisées «privées», lisez la presse écrite : y décelez-vous un changement notable ou, à tout le moins, les signes d'une nouvelle manière de traiter l'information qui soit à la hauteur des changements annoncés ? Autrement dit, cette volonté de rupture, claironnée par les responsables, peut-elle passer par des moyens d'information qui continuent de fonctionner avec le même discours et les mêmes méthodes de l'ère bouteflikienne ?
Le Président et le gouvernement peuvent tout faire, tout entreprendre, tout changer mais personne ne sera convaincu de leur action si l'on continue à recevoir l'information à travers des canaux décriés, manquant cruellement de professionnalisme et toujours marqués par la démagogie et le culte de la personnalité. Pourtant, M. Tebboune a, d'emblée, et le jour même de son installation, montré la voie, à travers un message à la symbolique forte : l'abandon du titre «Excellence» au profit d'un simple «Monsieur». Ce jour-là, la presse écrite aux ordres et les télés-bricolage auraient dû comprendre que les choses ont changé et qu'il faut en finir avec le «zaïmisme» et le culte de la personnalité. En présentant le nouveau Président comme un super-héros, ces éternels brosseurs lui rendent un très mauvais service et mettent à mal ses projets de changement radical avec les pratiques du passé.
L'un des exemples les plus frappants de cette soumission malvenue en ces temps de renouveau est cette ridicule campagne de promotion de la diplomatie algérienne devenue, en deux temps trois mouvements, la promotrice exclusive de la paix en Libye. Ce qui n'est pas vrai puisque l'appel au cessez-le-feu pour dimanche à minuit a été lancé conjointement par la Russie et la Turquie ! L'Algérie a fait ce qu'elle a pu et c'est déjà beaucoup par rapport au désert diplomatique de ces dernières années; c'est encore le pays à égale distance des deux forces en présence, ce qui n'est pas le cas des autres intervenants à l'est de la Libye; elle est écoutée par les deux gouvernements de Tripoli et Tobrouk et tout cela constitue une fierté pour nous tous mais pas au point de gober n'importe quel canular ! Évidemment, le jour où l'accord a échoué et que les bruits de bottes sont revenus, ces chaînes ont oublié le «rôle de l'Algérie» et la Libye est devenue un sujet secondaire !
Et c'est justement l'une des tares de notre presse qui est en fait la marque des dictatures : fabriquer en tout temps et lieu l'image la plus positive du pays et la diffuser en permanence. Pas pour montrer le génie d'un peuple ou l'œuvre collective des masses ! Juste pour titiller l'ego des gouvernants qui réussissent bizarrement des «miracles» là où leurs homologues ont lamentablement échoué ! L'analyse profonde qui interroge la réalité et cerne tous les aspects d'un dossier, l'intervention d'experts qualifiés maîtrisant le sujet font cruellement défaut sur les plateaux télé. Nous avons souvent affaire à des «doktours» répétant la même phraséologie et utilisant des arguments primaires pour montrer la puissance et l'efficacité de la diplomatie algérienne retrouvée, à tel point que le téléspectateur a l'impression de regarder là même chaîne mais avec des logos différents. 
L'information, la vraie, est disqualifiée. Les télés font de la propagande et le font mal. Ce n'est même pas de la propagande intelligente car cette dernière a ses spécialistes et ses maîtres d'œuvre. Non, ce travail journalistique n'a pas de nom : c'est du  bricolage! Habituées au téléguidage depuis le bureau du frère du Président, ces chaînes servaient des objectifs bien précis, loin de l'intérêt collectif et des normes professionnelles. Créées pour promouvoir le quatrième mandat, elles ont bien rempli leur mission, avant de devenir les détentrices du monopole de l'information continue et d'en user et abuser. Nous avons connu des épisodes dramatiques avec le harcèlement de citoyens innocents présentés comme des criminels et des traîtres, héros malheureux de ces flashs d'info répétés à l'infini ! Comment oublier cette curieuse et malfaisante jonction entre une justice manipulée, des services de sécurité agissant sur ordre et Ennahar TV, la chaîne de toutes les compromissions ?
Nous avions, à l'époque et au moment des faits, tiré la sonnette d'alarme en présentant même ces dérives comme un danger pour la sécurité nationale. Comme nous avions, à maintes reprises, appelé à la moralisation de ces chaînes au-dessus des lois de la République. Peine perdue, la super-puissance d'une télé comme Ennahar empêchait toute action salvatrice des valeurs éthiques et même l'Autorité audiovisuelle n'a rien pu faire quand elle a voulu assainir ce secteur et le mettre en conformité avec la loi.
C'est dire qu'il faut, et le plus tôt possible, en finir avec ces pratiques. Sinon, personne ne croira au changement ! Il existe un cahier des charges élaboré par les experts de l'ARAV et il est temps de le faire respecter ! Le paysage audiovisuel algérien en serait le plus grand bénéficiaire, lui qui virevolte entre l'illégalité et l'irrespect des règles élémentaires de la pratique journalistique télévisée ! Ainsi encadrées et surveillées comme toutes les chaînes du monde (pas censurées, mais observées de près pour les empêcher de nuire à la dignité humaine), ces chaînes pourraient diffuser légalement en tant qu'opérateurs de droit algérien couverts par les lois du pays. Ces réajustements pourraient permettre d'étoffer l'offre TNT en intégrant tous les programmes nationaux via leur présence à travers le satellite de télécommunications Alcomsat 1, cruellement sous-utilisé.
Mais tout cela ne doit pas empêcher l'émergence d'une grande chaîne d'information nationale qui sera l'outil privilégié pour la promotion d'une information professionnelle crédible réhabilitant le service public. Là aussi, nos appels pour la création de ce canal sont restés lettre morte. Au cours de nos discussions avec les responsables de l'époque, on nous sortait toujours l'argument du «tout privé» qui serait en vigueur dans les grandes démocraties, la télé publique étant «une notion dépassée !» Ce qui est faux puisque tous les pays européens possèdent leurs chaînes d'info publiques et le plus récalcitrant a cédé depuis peu : la France a fini par lancer France Info sur la TNT gratuite et le satellite ! En vérité, nos interlocuteurs ne voulaient pas nous dire qu'une force supérieure les empêchait d'agir dans ce sens, tout devant être fait pour protéger la poule aux œufs d'or, autrement dit Ennahar qui devait rester la seule source de diffusion des messages manipulés de celui qui a usurpé les fonctions présidentielles et ses amis affairistes !
C'est un grand chantier qui attend les nouveaux responsables du secteur. Nous connaissons leurs compétences et leur intégrité morale. Nous savons également qu'ils connaissent parfaitement ces dossiers et qu'ils mettront tout en œuvre pour rendre aux télés publiques et privées leurs lettres de noblesse. Mais il y a urgence en ces premiers mois du nouveau pouvoir : le discours et les méthodes de la pratique journalistique doivent changer très vite. Il ne faut plus cacher les images des marches populaires du mardi et du vendredi ! C'est comme si rien n'avait changé ! Il est recommandé également d'inviter les jeunes manifestants, les opposants et les représentants de la société civile à participer aux débats télévisés qui sont d'une singulière légèreté et toujours orientés vers le soutien bête et méchant du pouvoir ! Il faut dire aux cadreurs des images du JT de ne pas chercher forcément à mettre ministres et walis interviewés devant le cadre officiel du chef de l'Etat. M. Tebboune ne vous a rien demandé ! Ce sont beaucoup de petites choses qu'il faudra changer avant les grandes mutations qui hisseront le secteur au niveau des exigences de la nouvelle République !
M. F.

P. S. : une pensée émue à Louisa Hanoune et aux autres détenus. Tenez bon ! La vérité triomphera. C'est une question de jours, de semaines, de mois... Il y a une quinzaine d'années, j'adressais ces mots, ici même, à Mohamed Benchicou. L'homme est libre mais la honte accompagne toujours ceux qui l'ont jeté à El-Harrach.

 

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