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Rubrique Les choses de la vie

Bouteflika, Ghediri et Baha

J'ai pensé, un moment, à republier mes articles de 1999, 2004, 2009 et 2014 sur les élections présidentielles en changeant juste quelques noms pour rappeler aux amnésiques que c'est toujours la même pièce qui se joue et que, rien, vraiment rien, n'empêchera la même issue inéluctable et archiconnue de ce vote-plébiscite. Ceci ne porte guère un quelconque désaveu des candidats les plus sérieux qui se présentent avec une conviction et des arguments probants qui inspirent respect et admiration mais c'est ainsi et nul ne pourra changer quoi que ce soit.
Pessimisme, manipulation ? Je laisse chacun libre de porter le jugement qu'il veut sur ces appréciations qui sont les miennes depuis 1999, voire bien avant, sur des consultations populaires biaisées à l'avance. Hormis les votes de 1991 mettant le FLN face au FIS et celui de 1995 opposant Zeroual à l'islamiste feu Nahnah, je peux dire que tous les autres scrutins sont entachés d'irrégularités sous forme de fraude directe ou de grosses manipulations.
Un hommage particulier doit être rendu ici aux six candidats qui se sont retirés juste à temps en 1999 pour laisser M. Bouteflika faire cavalier seul et inaugurer un règne qui dure et durera tant qu'il est en vie. Celui qui n'était que le candidat du consensus est devenu le favori de toutes les consultations et nul n'a pu l'empêcher de remporter victoire sur victoire ou même l'obliger à jouer une manche supplémentaire sous forme de second tour.
En 2004, j'avais produit une chronique qui donnait M. Bouteflika vainqueur de l’élection présidentielle et cela avait fortement déplu aux autres candidats qui s'étaient manifestés auprès du journal pour signifier leur réprobation d'une manière amicale. J'écrivais pourtant que, personnellement, je souhaitais une autre issue à ce scrutin, espérant du fond du cœur une victoire de Saïd Sadi. Mais les sentiments ne résistent pas à la dure réalité des pratiques politiciennes ancrées dans les mœurs. Je précisais toutefois que M. Bouteflika n'était en rien responsable de ces coutumes peu empreintes de démocratie et qui existent depuis des lustres. Quand le FLN se met à chauffer le bendir et que les petites et les grandes associations, les anciens détenus, les fils de chouhada, les riches, les pauvres et tous les Algériens structurés dans les alliances, les confréries et les clubs le rejoignent dans la grande messe du patriotiquement correct, nul ne pourra résister au raz-de-marée qui emporte tout sur son passage. J'avais, un jour de mars 2004, interrogé le taxi, le boucher, les gens du café, le vendeur de cigarettes, le maçon, le peintre, le vieux garagiste et le petit marchand de lait de vache, j'avais posé aussi la même question à ma défunte mère : «Pour qui votez-vous ?» Tous m'ont répondu  : «Pour Bouteflika !»
Je n'étais pas un traître en écrivant cela. J'étais quelqu'un qui répétait ce qu'il avait entendu de la bouche de gens issus de ce que certains appellent le «petit peuple» et que je considère comme ceux qui vont vraiment au bureau de vote le jour du scrutin. Mes amis m'appelaient d'Alger : «Tu es fou !» Je répondais systématiquement : «Rendez-vous le 9 avril. Et faites gaffe à la gueule de bois !» J'ai même fait des paris que j'ai gagnés et j'attends toujours les repas promis.
Trêve de plaisanterie. Le sujet est autrement plus sérieux. En réalité, mes amis, outre le fait qu'ils sortaient rarement d'Alger, fréquentaient souvent les mêmes milieux professionnels et politiques. Mais ce n'est pas cela qui les rendait si sûrs de la défaite de Bouteflika. J'eus la réponse quelques mois plus tard. Un confrère désabusé d'un grand quotidien du matin m'affranchit d'une manière directe : «Durant les autres scrutins, il arrivait que des commandants, parfois un colonel, nous approchaient pour nous filer leurs analyses du prochain vote mais, en 2004, nous eûmes droit à des hauts gradés qui nous assuraient que Benflis allait gagner !» Ces personnages sortis de l'ombre pour un moment, disparurent aussi mystérieusement qu'ils étaient apparus et dès le 9 avril au matin, il n'y avait plus d'abonnés à leurs numéros. Ce fut une grosse manipulation dont on se souviendra longtemps. 
Bis repetita ? Cette fois-ci, il n'y a guère besoin de manipulation car la machine électorale est bien huilée pour fonctionner en faveur du... favori. L'ex-parti unique est secondé par une armada de formations, grandes et petites, qui roulent pour le Président sortant. L'oligarchie, composée de nouveaux riches dont les fortunes ont gonflé sur le dos du Trésor public, a vu son pouvoir économique se renforcer pour empiéter sur le pouvoir politique et ce n'est guère surprenant de voir un certain Tliba, inconnu il y a une quinzaine d'années, se transformer en oracle digne de son confrère Saâdani qui coule des jours heureux en France. Toutes ces forces de l'argent ne veulent pas d'un changement car il signifie que Haddad ne pourra plus s'amuser à construire des stades qui coûtent plus cher que des enceintes célèbres d'Europe, ni s'éterniser sur un bout de route ou transformer des producteurs en torches vivantes dans les locaux mêmes de sa chaîne télé ! Nombreux, trop nombreux, sont les «copains» milliardaires qui bénéficient des marchés publics et amassent des fortunes et ils ne lâcheront pas le morceau aussi facilement. Annaba est l'exemple parfait de la mainmise de la mafia politico-financière sur les affaires de la cité. Mais elle n'est pas la seule et, petit à petit, c'est tout le pays qui tombe dans les mailles de cette oligarchie qui n'a ni le talent, ni les qualités morales et encore moins cet altruisme sans limites de nos anciens riches.
Est-ce à dire qu'il faut cesser de militer pacifiquement pour un changement qui donnera au pays les moyens institutionnels de bâtir un ordre nouveau plus juste, plus libre et surtout à la hauteur de la grandeur de notre Algérie chérie ? Non, bien sûr. Mais il ne faut surtout pas que les hommes intègres et patriotes qui vont s'épuiser durant les prochains mois à présenter des programmes prometteurs aux Algériens croient qu'une défaite annoncée (et nous avons dit objectivement pourquoi) est la fin de tout. Il faut apprendre à dépasser cette fièvre d'engagement et d'optimisme qui ne dure que quelques semaines tous les cinq ans. Il faut transformer cette énergie passagère en force durable qui ne s'arrête pas aux haltes folkloriques des cirques électoraux. Enfin, et ce n'est pas une mauvaise chose ­— au contraire, j'y vois le principal avantage de cette campagne électorale — l'engagement de candidats censurés par les moyens audiovisuels (en plus d'un secteur public qui les ignore pratiquement, que dire de ces chaînes pirates de droit étranger, qui abrutissent quotidiennement les Algériens ?) leur permettra de parler au peuple sans les apprentis-censeurs habituels. C'est surtout valable pour Ali Benflis qui subit un boycott inexplicable. Pour Louisa Hanoune et Saïd Sadi s'ils se présentent. Aussi pour Ali Ghediri, la vedette de ces élections, l'homme dont on parle beaucoup et qui pourra développer ses idées démocratiquement, sans le couperet des apôtres du système. 
Ces voix seront notre lumière sortie d'un monde obscur, totalement désaxé et fortement empreint d'odeurs du passé. En les écoutant, nous comprendrons que l'avenir ne sera que beau et généreux pour tous et, quelque part, nous aurons l'impression que Larbi Ben M'hidi nous parle de loin. Mais sa victoire n'est pas pour aujourd'hui. Elle est pour demain quand nous nous déciderons vraiment à choisir entre le héros socialiste et anti-impérialiste Ben M'hidi et le Baha des marchés en... béton ! Votre serviteur attendra ce jour et n'aura guère l'impression de vous trahir en prenant la route du mont Boussessou et du barrage de l'Ouenza en ce jour béni du 18 avril. Un barbecue est prévu. En dégustant le mouton incomparable de notre «Guebla», aromatisé aux herbes sauvages, j'aurai la satisfaction d'accomplir, et de la meilleure manière, ce que je sais faire de mieux : boycotter !
M. F.

P. S. : qu'attend l'Algérie pour apporter un soutien symbolique au Président élu du Venezuela ? Cette diplomatie fébrile et peureuse avait pourtant volé au secours de l'Arabie Saoudite critiquée par M. Trudeau sur la question des droits de l'Homme...

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