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Rubrique Les choses de la vie

La rue et le pouvoir des oligarques

Alors que se poursuivent les manifestations pacifiques contre le cinquième mandat partout à travers le pays, trois questions semblent revenir sur toutes lèvres :
1. Le pouvoir a-t-il des possibilités de survivre à ce raz-de-marée populaire ?
2. Quel avenir pour le mouvement ?
3. Quel sera le rôle de l'armée ?
1- Les marches populaires qui se poursuivent depuis le 22 février et mobilisent de plus en plus de catégories sociales et de corporations, gagnent en ampleur et en profondeur territoriale. On ne voit vraiment pas comment elles peuvent s'arrêter alors que le pouvoir refuse de répondre à la principale revendication portée par les manifestants : pas de cinquième mandat. En effet, tout peut s'arrêter si, demain, le cercle présidentiel décide de retirer la candidature de Abdelaziz Bouteflika. D'ailleurs, nous pensions qu'il y avait un minimum de sagesse chez les membres de ce clan et espérions un retrait pour calmer la rue et pas seulement. Sans cette candidature et après un report de quelques mois, il aurait été possible d'organiser une élection démocratique et propre qui aurait permis au pays de retrouver une vie institutionnelle normale. Cela aurait été également une belle occasion pour Abdelaziz Bouteflika de quitter le pouvoir dignement.
« 20 années, ça suffit !», crient les jeunes dans les rues. Il faut dire que le tripatouillage périodique de la Constitution, justifié par divers arguments non convaincants, n'avait pour objectif que d'asseoir juridiquement les mandats successifs qui auguraient d'une présidence à vie. Par ailleurs, la maladie du Président a lourdement pesé sur le bon fonctionnement des institutions. Personne n'ignorait que les messages attribués au président de la République et lus par une armada de conseillers et de ministres ne visaient qu'à donner l'impression d'une présence tangible du chef de l'Etat qui, à défaut de présider les Conseils des ministres et les grands rendez-vous nationaux, se contentait d'entretenir cette existence épistolaire pour le moins surréaliste. Le dernier mandat n'a vu que quelques rares apparitions du chef de l'Etat dont la santé se dégradait d'année en année pour aboutir au grand silence pesant d'un hôpital universitaire de Suisse et beaucoup de questions...
L'autre boulet traîné par la présidence et bien que Bouteflika ait stoppé à temps un partenariat public-privé qui donnait à l'oligarchie envahissante les moyens de s'accaparer des trésors du patrimoine public ; l'autre boulet est cette armada envahissante de milliardaires qui raflent pratiquement tous les marchés et bénéficient des principaux investissements sous forme de prêts bancaires faramineux. Aujourd'hui, les noms cités par les manifestants indiquent que le peuple n'a jamais été dupe mais qu'il attendait le bon moment pour demander des comptes. Le scandale de Chakib Khelil, rentré au pays comme si de rien n'était alors qu'il est impliqué dans un gros scandale de corruption et que son nom est cité au tribunal de Milan, a également alimenté les rancœurs d'un peuple silencieux mais au courant de tout. Le cas Tliba est encore plus flagrant. Pour avoir dénoncé sa malfaisance depuis mai 2012, date des premières fondations de son immeuble envahissant de Béni Mhaffeur (Annaba), je connais son ascension fulgurante dans une ville terrée dans un silence inédit et choquant pour ces vieux baroudeurs bônois qui, des profondeurs de l'Edough aux ruelles de la place d'Armes, ont inscrit les plus belles pages de la résistance algérienne face à l'armée coloniale. Tliba raflait les gros marchés de béton, installait les responsables qu'il voulait et dégommait ceux qui lui résistaient. Le comble est qu'il a même pu parvenir, en usant de la «chkara», à la vice-présidence de l'APN, devenant le troisième personnage de l'Etat ! Parallèlement à l'émergence de cette oligarchie qui a porté un tort incroyable au clan présidentiel, il faut citer la corruption qui a gangrené la vie économique et sociale du pays - et même politique avec l'émergence de la «chkara». 
Face à ce mouvement qui exprime le ras-le-bol général et qui refuse de donner un nouveau ticket pour perpétuer l'ordre des Haddad, Tliba et autres, et devant l'inaptitude du Président, la riposte du clan présidentiel a été tardive et inopportune. Tardive car intervenant après la marche du 1er mars qui a clairement montré que le Rubicon était franchi. Inopportune car proposant des solutions inadéquates et confuses. La proposition d'organiser une élection présidentielle une année après celle du 18 avril prochain, ainsi que la tenue d'une conférence nationale et d'autres promesses prises à la hâte n'ont pas manqué de soulever les interrogations des observateurs, voire une certaine suspicion. Alors que la foule demande l'annulation du cinquième mandat, le Président répond : «Je m'engage à ne pas aller vers un... sixième mandat ! » Même les médias internationaux se sont posé la question de savoir s'il ne s'agissait pas d'un stratagème pour gagner du temps. Des titres aussi prestigieux que Le Monde et le New York Times se sont demandés pourquoi ne pas organiser la conférence nationale tout de suite et reporter l'élection. Question de logique. Mais les voies du pouvoir sont impénétrables !
2- Il est certain que le mouvement né le 22 février ne peut pas continuer sans organisation interne. Certes, pour le moment, il s'agit de maintenir la pression en élargissant sa base et en multipliant les sorties. Mais il faudra bien, un jour -proche -, s'organiser et trouver un minimum de consensus autour d'un programme alternatif. Malgré des tentatives d'accaparement qui iront en se renforçant, ce mouvement refusera le plus naturellement du monde toute paternité idéologique ou partisane. C'est inscrit dans son ADN. Ceci étant, l'idée de créer des comités populaires qui encadreront cette communauté naissante n'est pas mauvaise. Elle permettra de canaliser ce mouvement en respectant son caractère pacifique et non partisan, en lui évitant toute récupération et toute manipulation et en lui donnant les moyens de se développer autour des axes démocratiquement choisis par ses membres. J'ai lu que l'on proposait des directions par le haut. Sans porter un quelconque jugement sur les noms donnés - souvent des patriotes ayant largement contribué au combat démocratique de la société civile -, je pense que l'idéal serait de commencer par la base et d'aller, plus tard, vers le sommet.
La complexité d'une telle tâche n'est pas d'ordre organisationnel ou matériel mais réside dans le fait que le mouvement est un conglomérat de composantes populaires les plus larges, n'ayant pour le moment aucun programme politique en dehors de la revendication unique d'annuler le cinquième mandat. Le mouvement citoyen doit arrêter des programmes qui rassemblent et éviter tout ce qui divise. S'il n'est pas remis en cause par une quelconque manipulation ou tout autre débordement provoqué par ceux qui risquent de perdre des milliards, le mouvement ne s'arrêtera pas et je pense qu'il aura finalement gain de cause.
3- L'armée s'est exprimée mardi par la voix du général-major Gaïd Salah. Ce qui ressort de son discours est clair : l'ANP ne rentrera pas dans le jeu politique. Après le dérapage de Tamanrasset, Gaïd Salah semble se reprendre puisqu'il a évité de porter un jugement de valeur sur les marches, se contentant de rappeler le climat de paix et de stabilité dans lequel se trouve le pays, fruit de la lutte et des sacrifices du peuple algérien. La concorde civile n'a pas été évoquée, du moins dans le passage diffusé à la télé. L'armée se tient donc à équidistance entre les manifestants et le Président-candidat. On a compris qu'elle ne fera rien pour arrêter les marches mais aussi qu'elle ne s'opposera pas au cinquième mandat.
M. F.

P. S. : à propos de Bouteflika, voici une question, posée dans ma chronique du 19 février 2004, à laquelle la rue est en train de répondre : «Sa destinée sera-t-elle d'être l’homme du printemps algérien, des réformes courageuses et de la vraie démocratie ou se contentera-t-il du rôle peu recommandable de fossoyeur des libertés ? En attendant qu’il réponde à ces questions dans le silence glacial des cimes et l’effrayante solitude des sommets du pouvoir, il ne reste pas beaucoup d’alternative aux braves qui ont décidé de vivre libres dans leur pays, à ceux qui ne peuvent plus reculer sur le chemin de l’honneur et de la dignité : rester vigilants et continuer la lutte du mouvement citoyen, par les moyens pacifiques, pour faire reculer la peur et l’indifférence. L’exemple de Mohamed Benchicou et celui des Arouch doivent inspirer chaque Algérienne, chaque Algérien dignes de ce nom. C’est souvent loin de la politique partisane, par la parole libre, par la clarté des objectifs, par la mobilisation citoyenne massive et la cohésion que l’on fait reculer les dictateurs en herbe.»

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