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Rubrique Les choses de la vie

L’inéluctable fin de la presse papier

Il y a quelque temps, j’avais tenté de partager mes papiers sur les réseaux sociaux avant leur parution sur l’édition papier. L’immédiateté des réactions m’avait quelque peu déstabilisé. Les dinosaures de la presse comme moi ne s’adaptent pas facilement aux changements rapides et successifs introduits par les nouvelles technologies. Nous venons d’un autre monde : celui des articles écrits à la main, confiés à des secrétaires sténodactylos qui les remettaient à une imprimerie roulant encore au plomb. Il n’y avait pas l’ombre d’un seul ordinateur dans tout le bâtiment d’El Moudjahid et l’arrivée du premier PC bouleversera totalement nos habitudes de travail. Mais nous ne pensions pas en arriver à des rédactions vides et à des réunions de chefs de rubrique se faisant à travers des… visioconférences ! Le Covid-19 a davantage précipité les choses…
Dans le temps, pour connaître la tendance du lectorat, il fallait attendre que le journal sorte des rotatives, qu’il arrive aux kiosques et que le lecteur choisisse de poster ses réactions via une lettre postale ! C’est pour vous dire que connaître l’avis d’un lecteur à la seconde où l’article tombe sur le net est une invention qu’on a du mal à assimiler ! Mais ces lettres nous apportaient quand même beaucoup de bonheur. Au début des années 80, j'avais tenté une expérience intéressante au sein du quotidien El Moudjahid. À l'époque, je m'occupais de la page «Télévision» du supplément week-end. J'avais lancé une rubrique intitulée «La télé et les jeunes» où j'exposais les avis, doléances et critiques des jeunes téléspectateurs. Très vite, cette rubrique eut un succès foudroyant à tel point que les lettres des lecteurs arrivaient par sacs postaux entiers. Je passais un temps fou à lire toute cette paperasse mais cela m’amusait beaucoup et me prenait des week-ends entiers.
À l’époque, le seul instrument de la communication moderne était le téléphone mais il ne pouvait pas bouger de sa place. Une fois dehors, nous étions injoignables. Il n’y avait pas ce besoin actuel d’être tout le temps interrogé sur le lieu où l’on se trouve, ni cette fâcheuse tendance à vous déranger pour rien. Le téléphone, c’était pour les communications importantes et professionnelles. Ou, de temps à autre, pour prendre des nouvelles d’un proche ou d’un ami. Les jeunes d'aujourd'hui trouveraient bizarre cette manière de vivre qui nous allait si bien et qui ne nous posait aucun problème. Nous vivions déconnectés les uns des autres et quand il fallait se réunir, nous ne pouvions imaginer que cela pouvait se faire sans la présence physique des personnes concernées. Pouvoir le faire virtuellement ne nous traversait même pas l’esprit ! Aujourd’hui, des êtres peuvent vivre ensemble sans se parler, sans communiquer entre eux en dehors des salamalecs et des mots usuels. Ils peuvent s’asseoir ensemble, face à une télé qu’ils ne regardent même pas, sans échanger aucune parole. Leurs yeux sont constamment braqués sur le minuscule écran d’un smartphone.
Corporellement proches, ils sont pourtant très loin l’un de l’autre parce que chacun vit dans sa propre dimension virtuelle, celle qui l’accapare via la page qu’il a ouverte…Le téléphone accomplit des missions que nous ne soupçonnions même pas. Il est devenu le centre du monde et le moyen à travers lequel on parle, on apprend, on prend des photos, on enregistre des images, on cherche sa route, on achète, on paie ses factures, on écoute de la musique, on regarde des films, on échange des discussions. Et tous les jours, de nouvelles applications apparaissent qui ouvrent des horizons fantastiques au smartphone dans notre vie privée et professionnelle.
Cette réalité a créé une nouvelle manière de concevoir le métier d’informer. L'information ne peut plus souffrir d’être laissée au repos et doit être livrée immédiatement sinon, elle perd de son importance et risque même d’être doublée par une autre info manipulée. Si elle n’est pas rapide, si elle n’épouse pas la vitesse des réseaux, elle perd rapidement de son importance. Et pourtant, certains responsables continuent à communiquer comme si nous étions à l'ère des chaînes TV gouvernementales uniques et des quotidiens qui bouclent à minuit et qui sont dans l’obligation d’attendre la traduction des discours officiels. L'absence de communication au moment des faits crée un vide sidéral et difficilement acceptable dans un monde ayant pris l'habitude de vivre, seconde après seconde, les soubresauts de l'actualité et notamment ses points chauds. Nos dirigeants communiquent toujours en croyant que le journal de 20 heures est la principale source d'information des Algériens!
Le monde va très vite. Et il est regrettable que nous continuions à développer une information publique exclusivement destinée à polir l’image des responsables et à livrer uniquement des échos positifs. C’est toujours l’ère d'une information centralisée, putréfiée et vieillotte qui est dépassée par la vivacité des réseaux sociaux et l'aptitude de la jeunesse à communiquer via les moyens de son siècle. Il faut se rendre à l’évidence : plus personne, parmi les jeunes, ne regarde la télévision. À peine si les nouvelles tendances comme Netflix les attirent pour quelques séries à succès ainsi que de rares affiches footballistiques… Rares, très rares, sont ceux qui lisent la presse écrite. Regardez autour de vous, dans la rue, les transports, les cafés et même chez vous si vous avez des enfants en âge de lire. Ce n’est pas qu’ils ne s’intéressent pas à l’information. Ils s’y intéressent mais à travers des moyens qui n’existaient pas à notre époque. Les technologies nouvelles ont changé les modes de communication de l’information qui passe désormais via les réseaux sociaux. Grâce à cette invention miraculeuse qu’on appelle le partage, la nouvelle importante qui n’était accessible qu’à une minorité de journalistes impatients d’en savoir plus devant les télex qui ronronnaient, est désormais à la portée de millions d’internautes à l’instant même où elle tombe! L’information, pour eux, ce sont ces message reproduits à l’infini et ces petites vidéos YouTube élaborées selon des techniques nouvelles, accrocheuses à souhait et répondant à des goûts inédits, qui arrivent presque au moment des faits. On n’est plus dans la rapidité de l’information qui nous subjuguait sur les toutes nouvelles chaînes de télévision d’info, on est dans l’instantanéité. Mardi, j’ai trouvé un direct qui transmettait l’audio de la conférence de presse du coach Belmadi, avec traduction en arabe immédiate et des commentaires qui tombaient également en direct. Notre journalisme est désarmé devant cette véritable révolution. Pour y faire face, les télévisions doivent privilégier le direct, envoyer immédiatement des journalistes et des moyens légers de transmission vers les lieux de l’information, qu’elle soit politique, économique, culturelle, sociale ou liée aux catastrophes et autres calamités. C’est cela la force d’une télévision d’info directe performante et c’est le meilleur moyen de retrouver ses contenus en force sur Facebook et YouTube grâce au partage immédiat des vidéos enregistrées par des passionnés de scoops. Une télévision d’info qui passe son temps à filmer en studio des invités aux profils de «douctours» ressemble comme deux gouttes d’eau à une radio et d’ailleurs, les radios ont maintenant le live de leurs studios sur Internet. 
Ceci pour les télés. Quant à la presse écrite, il n’y a plus de doute. Elle vit ses dernières années. Ses lecteurs se comptent parmi ces retraités en voie de disparition, laissant la grande tradition de lecture des quotidiens orpheline. Face aux télés d’info et aux réseaux enflammés, il n’y a aucune parade. Nous transformer pour épouser les tendances de l’époque suffira-t-il à sauver nos titres devenus virtuels ? Wait and see…
M. F.

 

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