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Rubrique Les choses de la vie

Si Boutef m’était conté

Ce n’est pas de notre faute, ni de la votre d’ailleurs. C’est peut-être celle du temps qui passe et qui ne s’est pas arrêté pour rendre hommage à ceux qui faisaient l’actualité et certainement la grandeur d’un pays mais qui restaient éternellement à l’ombre de l’homme au burnous noir. Je vous ai connu grand négociateur, subtil et rusé, un diplomate habile comme on n’en fait plus. Je vous ai vu aussi dans une salle de la capitale (débats sur la Charte nationale) donner le vertige aux étudiants gauchistes enflammés qui voulaient vous coincer sur le sens de la révolution socialiste, vous qui passiez pour être un partisan du “libéralisme” honni par le parti et les élites intellectuelles. Je vous ai vu aux côtés de Carlos, grand « terroriste » qui ramenait, encore une fois, un avion vers Alger, « La Mecque des révolutionnaires ». Je vous ai connu grand ami de tous les ennemis des dictateurs du monde, qu’ils soient d’Afrique, d’Asie ou d’Amérique latine, vous qui irradiez les restaurants huppés de la capitale de cet éclat unique des vrais rebelles. Votre entrée dans ces salles aux lumières tamisées, avec cette démarche à la fois légère et assurée, suffisait pour faire se lever les gens. Vous ne laissiez pas indifférent car vous ne passiez pas inaperçu. Et parce que vous saviez dire à chaque femme, à chaque homme, les mots qu’il fallait pour les mettre à l’aise, les rassurer, les faire sourire, on vous considérait comme le grand seigneur de ces nuits féeriques et sereines d’Alger. Vous aviez ce sens de l’humour qui faisait retomber les grandes tensions et vous aviez les mots justes pour faire rêver la « Panthère noire » d’Amérique, tout en rassurant l’ambassadeur des Etats-Unis sur les bonnes intentions de l’Algérie.
Alors, ce n’est vraiment pas de notre faute si, lorsque ce pays s’est trouvé coincé et qu’il fallait qu’il s’en sorte, il n’a pas hésité à s’inventer d’autres héros, à semer de nouveaux repères sur le chemin de la survie, pour créer cette épopée surgie de l’Algérie profonde si riche d’intrépides ! Ce n’est pas de notre faute si, pour de bonnes ou de mauvaises intentions, Octobre a enfanté d’autres gamins qui ont fait plier l’ordre ancien afin que change le système politique de ce pays, afin que naissent ces frémissements démocratiques qui ont grandi dans les printemps de la liberté ! Vous n'étiez surtout pas là pour dire à ceux qui en avaient besoin, dans le désespoir des lendemains de carnages et de toutes les autres basses œuvres du terrorisme intégriste, qu’il fallait croire en ce pays et ne pas abandonner la lutte contre la bête immonde ! Vous n'étiez pas là pour secourir les modestes citoyens de Raïs ou pour dire un mot d’espoir aux orphelins et aux veuves de Bentalha ! Vous auriez pu le faire, mais vous n'étiez pas là ! Par contre, ce que vous avez bien fait, et même très bien, c’est de réhabiliter ces monstres qui ont fait tant de mal à nos familles, qui ont tué Boucebsi, Djaout, Aslaoui et Flici ! Vous n'étiez pas là pour dire à leurs épouses ce mot qui réconforte, mais vous étiez là pour les faire pleurer avec la concorde, ce serpent venimeux qui prend tantôt des couleurs « civiles », tantôt celles dites « nationales », mais qui garde, dans toutes les situations, son venin intact pour nous faire mal dans nos tripes !
Ce n’est pas de notre faute si vous n'étiez pas là pour voir Zeroual, Sifi, Ouyahia – oui, même lui et malgré tout – se donner tant de mal pour sortir ce pays à genoux, agonisant, frêle et accablé, des sombres et profonds marécages dans lesquels il se trouvait ! Vous n'étiez pas là pour voir la fierté courir de Tlemcen à El-Kala comme le vent de l’Atlas pour dire la reconnaissance d’un peuple à son chef qui refusait de rencontrer Chirac « sous conditions» alors que l’Algérie était plus isolée que jamais et qu’une gestion plus pragmatique aurait voulu que l’on accepte ce rendez-vous new-yorkais ! Mais, quand il s’agit de dignité, on ne fait pas de calculs ! Et lorsque les héros ont mis tout leur savoir-faire et leur courage pour barrer la route au projet intégriste et défaire ses armées fascistes, il s’est trouvé une élection bidon (avec un seul candidat) pour créer le mythe du sauveur de la Nation.
Pour témoignage, devant Dieu et les hommes, je dis et souligne que l’Algérie de l’été 1998 était déjà sortie de la terreur fondamentaliste et du risque « taliban ». Et aujourd’hui que tout le monde s’essaye à l’art du bilan, on ne voit que des excès partout. Chez ceux qui veulent nous faire croire que notre pays a réalisé les plus belles prouesses de son histoire en cinq années, comme chez ceux qui font du négativisme leur religion. Mais un bilan ne peut pas être noir ou blanc. Il épouse les nuances du gris dans ses gammes multipliées à l’infini et que ne peuvent voir les extrémistes de tout bord. Et parce que je considère que l’indépendance dans la presse, ce n’est pas seulement la neutralité mais surtout un sens profond de l’objectivité et une dose non négligeable d’impartialité, il faut vous reconnaître ce mérite d’avoir cassé le tabou des langues dans ce pays. Il y a aussi ces petites choses qui peuvent ne pas compter pour les citadins habitués à un certain confort mais qui ont leur importance aux yeux des habitants des petits villages de l’intérieur, comme l’alimentation en gaz naturel dont le programme est interrompu depuis les années quatre-vingt. Des efforts méritoires sont à relever sur le plan de la construction de logements, du crédit automobile, de la réalisation de barrages, de l’édification des universités et du renforcement de leurs capacités d’accueil, de la multiplication des providers internet à travers la libéralisation du secteur, objet d’un monopole avant 1999 (époque de l'Eepad, ndlr), etc. Enfin, et toujours dans le chapitre positif, les évidences sont là : une inflation contenue à un niveau acceptable, une réserve de change jamais réalisée au cours des dernières années, un service de la dette pas si catastrophique...
Mais, pour réaliser cela, avions-nous besoin d’une gestion tout à fait singulière des affaires de la Nation, une gestion dont le moins qu’on puisse dire est qu’elle fut parfois chaotique, obéissant à une vision autoritaire, à la limite du despotisme, qui a fait dégringoler les valeurs démocratiques et vider les partis de leur substance ? Ces dérives ont automatiquement conduit à la dévalorisation du système parlementaire issu de la Constitution pour former les contours d’un régime présidentiel encore flou mais qui pourrait prendre de la consistance dans un deuxième mandat. C’est là, à mes yeux, le principal danger qui guette les institutions, incapables de jouer le rôle qui leur est imparti par la Constitution, qui n’est au fond qu’une pâle copie du texte fondamental de la République française. Avec Bouteflika, les partis ne servent à rien, sauf s’ils le soutiennent ; la télévision est un appareil de propagande pour le pouvoir et les espaces de libertés politiques sont devenus insignifiants, pour ne pas dire inexistants.
L’Algérie ne mérite pas cela. L’Algérie de Boudiaf et Ben Boulaïd, mais aussi celle de Benhamouda et Massinissa Guermah, nouveaux martyrs de la démocratie et de la liberté. C’est cette Algérie qui demande aujourd’hui, avec insistance, à M. Bouteflika de voir plus loin que les foules enthousiastes des accueils populaires et d’entendre, au-delà des panégyriques lus par les voix acquises, les vrais appels de celles et de ceux qui veulent vivre en toute liberté dans ce pays et qui ne veulent plus croire à la fable des hommes providentiels !
La lutte millénaire de notre peuple pour la liberté et le progrès, porté au fil des âges par le sacrifice des braves et dont le mouvement citoyen est la toute dernière illustration, peut connaître des défaites provisoires ; elle peut rencontrer de nouveaux despotes et de nouvelles cours s’aplatissant devant les rois de circonstance, elle peut se perdre dans le labyrinthe des zizanies politiciennes entretenues par les spécialistes de la politique, elle peut être abusée par les fausses urnes et dupée par le bulletin de vote, mais cela ne dure pas tout le temps. Si des mesures radicales ne sont pas prises pour remettre le train de la démocratie sur les bons rails et si l’excès d’autoritarisme et la manipulation de bas étage ne cessent pas, la tempête peut revenir et au moment où l’on s’y attend le moins.
M. F.

P. S. : cette chronique a été publiée ici même le 5 février 2004, avant le second mandat. Je la republie à un moment où l'Histoire s'écrit devant nous, sans fioritures, ni bavardage inutile. Il y a tant d'émotions, tant d'espoir de venir à bout — enfin ! — de l'oligarchie et de ses représentants hypocrites qui changent de veste pour maintenir leurs privilèges, tant de sentiments contradictoires que je me sens incapable de produire la moindre nouvelle phrase en ce mercredi maussade mais chargé de tant de convictions et de lumière printanières.
Je regarde l'Histoire en marche et me tais... A jeudi prochain !

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