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Rubrique Lettre de province

5 Juillet : une symbolique réappropriation de… l’indépendance

En inaugurant les festivités du 5 Juillet par un discours-programme qu’il souhaitait conclure par des vœux adressés au peuple, Bensalah ne se doutait, apparemment pas, qu’il allait rompre avec la plus détestable des habitudes de son prédécesseur et néanmoins son parrain. Celui qui cultiva, durant tous ses mandats, un infini mépris pour les célébrations patriotiques en leur opposant un dédain muet et jusqu’à réfuter sa présence protocolaire lorsque la tradition l’exigeait.
C’est ainsi, qu’après son inexplicable effacement, l’intérimaire du palais fut chargé de l’exercice en question lequel énonçait des propositions destinées à résoudre l’équation posée par le mouvement du 22 février. Alors que le solennel engagement relatif à la neutralité du pouvoir fut apprécié comme un rétropédalage positif de la part de certains cercles, d’autres analystes demeurèrent dubitatifs en le soupçonnant de vouloir noyer la concertation dans l’inévitable multitude de mémorandums. Implicitement, l’on encouragerait la multipolarité préjudiciable aux bonnes synthèses et dont seul le pouvoir sera susceptible de tirer profit. Historiquement, ce risque rappelle l’inénarrable ruse de la Charte nationale que le régime de Boumediène organisa et qui allait accoucher d’une Constitution typiquement franquiste. En attendant qu’au sein même du mouvement la décantation s’opère, il n’est pas inutile de relever certains aspects des promesses de Bensalah qui signifient que tout n’est pas « gris » de la part du palais. Il s’agit, notamment, de la reconnaissance du cahier des doléances que la résistance n’a eu de cesse de mettre à jour chaque vendredi. Autrement dit, sa légitimation suppose qu’il lui est reconnu symboliquement, le droit exclusif de célébrer à sa manière la fête de l’Indépendance et de lui donner le sens qu’il souhaite : celui de la date fondatrice d’une nouvelle Algérie. Ce qui, dans le contexte actuel, consiste en une réappropriation de la date après 57 années de spoliations et de manipulations, tant il est vrai que, jusque-là, elle n’était reconnaissable qu’à la récupération concrète de la terre alors que, dans le même temps, la « désaliénation » de la société allait devenir une malédiction sans remède. 
En effet, s’agissant de nos dirigeants, il était indiscutablement difficile de leur trouver des excuses quant à la manière qu’ils mirent pour assumer cette renaissance nationale à double volet. Une mission qu’ils condamnèrent à la jachère en ne se préoccupant uniquement que de la terre libérée tout en livrant le peuple à tous les conditionnements possibles jusqu’à lui faire accroire qu’il vivait sous un ciel de liberté toutes les fois qu’on lui proposait des bulletins de vote fictifs et une démocratie de faussaires. A ce propos, ne suffit-il pas de citer les énormes parjures à répétition d’un Président dont les investitures n’étaient que d’insondables escroqueries ? Dans le même ordre d’idées, pourquoi doit-on omettre également le mépris qu’il afficha en 2012 lorsqu’il avait été question de célébrer avec faste le cinquantenaire de l’indépendance (1962-2012) ? Rien depuis n’a changé dans les réflexes officiels lorsqu’il s’agit de braquer les projecteurs sur les pans sensibles de l’histoire contemporaine de l’Algérie. Car le désir « d’arranger » les faits demeure la seule échappatoire dont s’étaient servi les dirigeants face aux réquisitoires des historiens scrupuleux. Pourtant, jadis, Mostefa Lacheref n’avait pas manqué de mettre en garde la classe politique contre sa tendance à la « sentimentalité parfois bêlante » qui tourne le dos à l’imparable décantation historique. Celle que l’on nomme « mise à jour permanente » grâce à laquelle le roman national a des chances de « survivre et perdurer », ajoutait-il. 
Toujours dans le droit fil de sa pensée, n’a-t-il pas été le seul qui, au cours de la décennie 1980, a posé la question lancinante du rapport des générations montantes à l’histoire du pays ? A ce sujet, il conseilla d’en finir avec « la démesure pseudo-héroïque et le recours aux seuls mythes avantageux » qui agacent plus qu’ils n’édifient la jeunesse et la détournent, une fois pour toutes, de l’héritage national qu’il soit proche ou lointain. En l’absence, donc, de rigueur éthique concernant aussi bien la narration du passé que les comptes-rendus des évènements, il se trouve que même les repères du calendrier national y ont subi une dommageable altération des sens qui, précédemment, étaient les leurs. Sans que l’on sache comment la date du 5 Juillet fut quasiment gommée du récit patriotique, l’on doit, en bonne logique, culpabiliser le pouvoir d’Etat d’avoir été peu vigilant. C’est qu’en l’espace de 57 années, sa célébration est passée de l’authentique exubérance populaire à l’insignifiance la plus ennuyeuse. De réclusion mémorielle en censure délibérée, elle fut affectée à une autre « fonction», mineure celle-là, que seul un scoutisme en panne assumera saisonnièrement. Tout cela atteste qu’en matière d’engouement patriotique, ce n’était pas dans les allées du pouvoir qu’il était possible de déceler un semblant de flamme lorsque Juillet est cité. Car, en fin de compte, seules les petites gens savent retrouver régulièrement les traces du passé. Celles des souvenirs existentiels d’une grande espérance laminée par le cynique réalisme des dirigeants. 
De nos jours d’ailleurs, l’on constate une même préoccupation chez la nouvelle génération laquelle s’attelle à retisser la trame de l’Histoire nationale afin de se réinventer un destin semblable à celui rêvé par les ancêtres. Parmi la famille des sociétés martyrisées, l’Algérie ne porte-t-elle pas les stigmates durables des terribles épreuves vécues récemment ? A ce titre, n’exige-t-elle pas des générations, aujourd’hui sur la brèche, qu’elles traquent l’amnésie qui a obscurci la lecture de l’Histoire. 
B. H.

 

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