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Rubrique Lettre de province

Diktat du fléau et tapageuse charité

Alors que l’état de siège sanitaire était décrété sur toutes les terres d’islam où même les mosquées furent soumises, depuis un mois, à un rigoureux huis clos en dépit des protestations populaires qui allèrent jusqu’à considérer cette décision «d’atteinte à leur foi», l’on s’imagine facilement que les rites habituels de Ramadhan risquent d’être escamotés dans la plupart de leurs aspects, c’est-à-dire même ceux qui animent les soirées profanes. Et pour cause, en plus des restrictions relatives à la circulation dans les villes, l’on a imposé à la totalité du pays un confinement strict dès la tombée de la nuit. Comme quoi, en plus des éprouvants enfermements en temps «normal», il sera certainement difficile de croire que les jeûneurs trouveront matière à sacraliser leur abstinence sans remettre en cause les clauses préventives édictées par la puissance publique. Ce sera, par conséquent, à ceci que se résumera la critique quand, au fil des journées de carême, l’interdiction de la circulation et l’internement forcé entre le f’tor et le s’hor risquent d’être les sources de réels drames psychologiques. 
Très vite, en effet, ce contexte particulier va poser à la conscience de chaque individu des problèmes qu’il doit résoudre pour soi. Ainsi, les uns resteront engourdis par la peur, d’autres chercheront une diversion dans le cercle restreint du chez soi quand ils ne se réfugieront pas dans le recours aux prières afin d’exorciser l’angoisse qui les étreint. D’autres encore profiteront de l’altération du discernement pour faire des affaires. Enfin, il y aura évidemment l’immuable prescription de la charité dont l’État est l’ordonnateur mais à laquelle s’impliqueront également les tartuffes. 
Tout un agrégat de réseaux surgissant de nulle part et qui se mobilisent «autour» de la misère et non pas «contre» elle ! C’est tout dire… Pour les mêmes objectifs et avec une ponctualité jamais démentie, les institutions caritatives, agréées par le ministère de tutelle, rivaliseront avec les traditionnelles politiques de soutien émanant de l’Etat à travers un ostentatoire exercice moral. 
En effet, quand les acteurs du culte prêchent à haute voix pour la vertu de la charité, la communication officielle, elle, met en exergue sa politique d’entraide en la chiffrant cette année-ci à 22 milliards de dinars destinés à deux millions de familles dans le besoin. 
En somme, la référence théologique et la démarche sociale ne se complètent pas uniquement, elles se font aussi concurrence. Justement, si toutes les deux s’accordent pour reconnaître que la misère est présente toutes les saisons de l’année, l’une (la mosquée) plaide pour la modestie de ses moyens quand l’État se défausse sur les mécanismes des recensements qui faussent régulièrement l’éradication des niches de la pauvreté. C’est pourquoi en choisissant de se dédouaner opportunément au nom de l’hypersacralisation du mois de Ramadhan, l’on emprunte ici et là au carême sa signification morale. Sauf que même ce prétexte est vite oublié les mois profanes. 
Toutefois, ce cyclique retour à la même démarche a fini par choquer le bon sens de l’opinion qui s’attendait à ce que l’on mette fin aux démagogiques traitements contre la pauvreté. Une irritation déjà perceptible dans les commentaires qui trouvent blessant que l’on recourt avec condescendance à l’amélioration de la soupe des petites gens. De plus, en revendiquant une sorte de monopole du cœur grâce à la sordide distribution des couffins, l’on a suscité d’acerbes critiques. 
C’est que par le fait même que l’on réduise le rôle de l’État à celui de dispensateur d’aumônes, on le disqualifie in fine. Car, il n’existe pas un principe de charité parmi ses prérogatives mais seulement une obligation d’équité et de justice au profit des citoyens. Celle qui attend de lui à ce qu’il promeuve une démarche favorable à la péréquation des richesses afin d’éviter les brutales fractures sociales. Or, tant que les couffins du Ramadhan existeront, ils seront le témoin qui corroborera l’immense détresse de ces millions de cabossés de la société. 
Dans une Algérie exsangue qui flirte à présent avec le chômage de masse, le secourisme alimentaire est, certes, nécessaire, à condition qu’il ne devienne pas une fin en soi. Cela veut dire qu’en terme économique, la solidarité renvoie essentiellement à un devoir de régulation afin de réduire les écarts flagrants entre les nantis et les éclopés économiques. 
En somme, socialiser la rente de l’État afin de lui éviter toute implication dans le fonctionnement des solidarités qui ne doivent être que le domaine privé du mouvement associatif. Quitte à susciter, d’une part, le courroux des dévots et, d’autre part, en s’inscrivant en faux contre la prétendue efficacité de l’État quand il se mêle d’accorder des primes exceptionnelles, comment peut-on être sûr que le train de vie de nos millions de pauvres puisse s’améliorer d’année en année par la seule magie d’une solidarité circonstancielle ? Autrement dit, est-ce là la bonne riposte à la misère chronique ? Pis encore, peut-on faire injure à la foi collective tout autant qu’aux démunis en instituant de curieux distinguos entre les jours «sans» et d’autres «propices» aux bonnes œuvres ? Et si l’explication demeure évasive, comment l’État peut-il se dédouaner au moment où il programme ses interventions dans ce contexte éminemment religieux alors qu’il a la latitude d’agir tout au long de l’année ? C’est pourquoi, lorsque la puissance publique laisse supposer qu’elle est parfois encline à faire de la politique politicienne, l’on devient moins rassuré quant à la rationalité qui devrait être la sienne en toutes circonstances.
Inutile donc de rappeler que seul Dieu et les miséreux reconnaîtront les leurs après le Ramadhan. À présent, il s’agira surtout de jeûner sans grand enthousiasme en craignant de provoquer de gravissimes contaminations à la moindre transgression aux règles du confinement.
B. H.

 

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