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Rubrique Lettre de province

Disparités régionales et mythe de la décentralisation

Le président de la République est-il disposé à faire du problème des disparités entre les territoires un objectif prioritaire ? Probablement oui, car après avoir validé, en quelque sorte, le diagnostic effarant établi par son ministre de l’Intérieur, il a immédiatement décidé de convoquer, dans la seconde quinzaine du mois en cours, un conclave réunissant les walis et le gouvernement afin de plancher exclusivement sur cette question. Cependant, si dans un premier temps, il ne s’est contenté de n’aborder le sujet que sous l’angle du statut social dévolu aux populations oubliées, l’on peut tout de même supposer que, cette fois-ci, l’État ne se limitera pas aux traditionnels saupoudrages. En effet, cette problématique des équilibres inter-régionaux devra mériter une autre approche et ne saurait se traiter qu’à partir d’une nouvelle remise en question de l’organisation spatiale de l’administration du pays telle qu’elle fut conçue par le passé, pour ne pas dire héritée de la période coloniale. En somme, profiter du contexte historique qui s’offre actuellement à l’État pour, pourquoi pas, changer de paradigme. Celui qui concernera la refondation de l’administration afin de passer du jacobinisme centralisateur à une forme d’autonomie régionale susceptible de s’adapter aux spécificités locales. 
Quand bien même ce nouveau pouvoir semble hésiter encore avant d’inscrire la décentralisation parmi les priorités des grands changements, il n’en reste pas moins qu’à court terme, la nouvelle démarche qu’il préconise pour parvenir à une « parité sociale » entre les régions exige une autre pédagogie que celle des stratégies « clé en main », voire même des chèques en blanc permettant aux commis de l’État de financer les besoins locaux. Le recours à la décentralisation dont on a parlé durant un quart de siècle est, jusque-là, perçu comme une simple ligne d’horizon : c’est-à-dire un objectif qui recule irrémédiablement au fil du temps qui passe. Autrement dit, elle est devenue l’Arlésienne des chantres du pouvoir lorsqu’ils sont contraints d’imaginer d’autres voies de sortie pour contourner les échecs du moment. D’ailleurs, n’a-t-elle pas fait l’objet d’une bruyante promesse en 2016, au moment où les clignotants de la rente pétrolière commencèrent à rougir, alors qu’il était de moins en moins possible de remédier à la demande sociale en l’absence de la manne rentière comme cela avait été longtemps le cas sous le régime précédent, lequel n’eût pour stratégie de gouvernance que l’arme de la corruption de masse. 
Récemment encore, la thématique de la décentralisation fut à nouveau reprise mais sous un intitulé confus qui, tout en préconisant une « gouvernance décentralisée », attribuait sa résilience à la démultiplication des structures verticales : c’est-à-dire la densification des pôles « wilayals » dont, pourtant, le rôle est, de fait, en contradiction avec l’autonomie qui est la vocation foncière des mairies et dont l’horizontalité est un atout favorisant le maillage économique entre des collectivités semblables. Celui qui consistera à mettre à contribution l’initiative locale en privilégiant les leviers susceptibles de dynamiser à moindre coût le développement homogène et créer dans le même temps une économie d’échange dans un espace donné et ce, sans l’assistanat de l’État. 
Évoquée à maintes reprises par les précédents dirigeants, la réhabilitation du rôle des mairies est, par contre, demeurée en-deçà de ce qui est attendu. Or, pour que les institutions locales puissent devenir l’axe de la régionalisation, il est essentiel que ce changement puisse être initialement encadré par l’État central. À ce propos justement, ce mode de réforme n’avait-il pas été à l’ordre du jour en 2002 déjà lorsque la commission présidée par Missoum Sbih avait exploré toutes les variantes d’une « nouvelle gouvernance ». À cette époque, ces propositions ont vite été écartées à la suite de la tournure prise par la crise de la Kabylie. Seulement, si le contexte du moment (2002-2005) ne semblait pas favorable à la thèse d’une autonomie des régions, l’on ne comprend, cependant, pas pour quelles raisons les gouvernements de cette période décidèrent de « neutraliser » les prérogatives des APC et APW en amendant par deux fois les codes communal et wilayal et en transférant autant de pouvoirs à l’autorité des walis. Ce fut donc après ce dépouillement systématique que datera leur extinction ou du moins leur effacement en tant que centre de décision pour les résidents. Plus grave encore, l’État allait multiplier les impairs quand il lui fallait résoudre la question du poids démographique consécutif au déplacement des populations relogées grâce à la politique de l’habitat menée au pas de charge. En effet, alors que d’authentiques entités urbaines s’imposaient à la périphérie des métropoles régionales, le souci de l’État ne fut pas celui de leur octroyer le statut de commune. Il préféra, au contraire, aliéner l’existence de cette entité humaine en l’accolant arbitrairement à l’institution wilayale la plus proche ! Un non-sens irréparable lorsqu’on sait qu’il ne peut exister de structure administrative d’État là où n’existent pas encore les entités communales !
Ce sont donc ces tristes constats qui expliquent pourquoi le nouveau pouvoir a toute la latitude de se défausser sur ce lamentable héritage afin de renvoyer aux calendes grecques la possibilité d’engager le projet de la décentralisation. C’est d’ailleurs de la sorte que l’on nous fera comprendre qu’en l’état actuel des choses, il n’y a pas lieu de se focaliser sur ce vaste chantier mais de se pencher en premier lieu sur la situation lamentable des communes et parfois même de leur inexistence là où résident pourtant des populations excédant le millier d’âmes. En attendant, par conséquent, que la géographie humaine retrouve sa place dans les cadastres de l’État, il ne serait pas inutile tout de même d’aller au secours des populations oubliées et ce, grâce au futur programme du gouvernement.
B. H.

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