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Rubrique Lettre de province

Fiction : … Et si Benbitour succédait à Bedoui ?

Entendons-nous bien, car ce qui va suivre est tout à fait du domaine spéculatif puisque rien, à ce jour, n’indique que la raideur formaliste de l’armée se soit assouplie ou que la contestation populaire n’ait donné l’impression de s’adapter à la fameuse « realpolitik », unique soupape pour élaborer un consensus a minima et contourner le piège de l’impasse. À ce jour, pas un indice n’est venu accréditer cette possibilité sauf, peut-être, les lectures que l’on retrouve dans les commentaires de presse. L’une de celles-ci nous a justement donné envie d’illustrer l’hypothèse et qui consiste à « couper la poire en deux », afin d’aboutir à un compromis que l’on proposera à la vox populi. Celui de sacrifier le maillon faible du binôme représentatif de l’ancien régime sans pour autant songer à une quelconque épuration dans l’immédiat, laquelle risquerait de prendre des allures de règlement de comptes.
Sans trop y croire d’ailleurs et même sur le ton de la moquerie, notre confrère(1) aborde la possibilité de «faire démissionner» un Bedoui dont le passé est notoirement… passif et le remplacer précisément par une personnalité que les millions d’insurgés pouvaient sans hésitations apprécier pour sa probité. Sauf qu’en écrivant cela, l’auteur de l’article se laissa aller vers le scepticisme quant à l’existence réelle de cet « homme providentiel » (sic) tant les critères lui semblaient impossibles à réunir dans la trajectoire politique d’une seule personnalité. Mais voilà qu’au pessimisme de notre inspiré confrère il est possible de lui opposer un pari : celui de prétendre avancer le nom d’une personnalité que de nombreux cercles politiques tiennent pour un parangon de l’intégrité. Il s’agit justement du modeste Benbitour dont l’itinéraire politique est à lui seul significatif. Personnalité atypique du microcosme, Ahmed Benbitour connut un parcours politique sans grand relief au cours de la période 1980-1990 alors qu’il occupait des ministères techniques. Adoubé dans la fosse à crocodiles qu’est le gouvernement, ce technocrate-là ne pouvait guère faire de l’ombre à ceux qui cultivaient des ambitions démesurées d’autant plus qu’ils ne pouvaient se prévaloir que de leurs… incompétences et dans le même temps de leurs entregents et l’assise clanique qui va avec. Reconduit d’un gouvernement à un autre dans des attributions similaires, il a fini par acquérir une notoriété d’argentier scrupuleux avant de se voir propulsé à la chefferie du gouvernement en janvier 2000, succédant au défunt Smaïl Hamdani lequel avait précisément assuré la transition lors de la passation de pouvoirs entre Zeroual et Bouteflika (novembre 1998 - décembre 1999). Alors que les observateurs attitrés de l’activité gouvernementale le trouvaient suffisamment « sage » pour durer longtemps à ce poste très sensible, il surprendra la classe politique lorsqu’il décida, de son propre chef, de démissionner après seulement neuf mois d’exercice. De cette courte mise en lumière, il a gardé le sentiment amer d’un gâchis qu’il dénoncera très tôt comme étant le fait et du président lui-même et surtout des « conseillers » peuplant El-Mouradia. De cette expérience, il allait tirer les leçons essentielles parmi lesquelles celle de l’obliger, en conscience, de ne jamais plus céder à la tentation du silence. Cette omerta qu’ont fini par observer la plupart de ceux qui ont eu à occuper ce poste-fusible et dont ils justifièrent le recours par la règle de la « réserve ». Une excuse passe-partout qui n’est rien d’autre que la crainte des représailles au cas où… C’est dans ce contexte que Benbitour allait se révéler différent de ses ex-pairs. Lui n’avait, en effet, pas attendu que la rue balaye la peur pour s’exprimer et dénoncer la manière dont étaient conduites les affaires publiques. Sauf que sa parole était demeurée confidentielle de même que sa notoriété était celle de l’estime que lui vouent les cercles de la presse. En effet, en termes d’image médiatique, son nom n’avait pas la même résonance que les démagogues du régime. Et pour cause, il était un homme de conviction démuni de réseaux qu’ils fussent partisans ou même de la société civile. Autant dire que Benbitour a longtemps incarné (de 2003 jusqu’au Hirak) une « parole » libre en toutes circonstances. Même l’épisode de sa démission et les troublantes révélations concernant les détestables relations qu’il fut contraint d’entretenir avec le sommet de l’État ne firent pas de grandes vagues. Pourtant, il a été, de tous les Premiers ministres qu’usa Bouteflika, celui qui n’hésita pas à alerter les institutions et les courants politiques sur les dérives caractérisant la gouvernance. 
Mettant en cause le chef de l’État en personne, il l’accusa plus d’une fois de despote recourant sans cesse à des écarts avec les textes réglementaires. Lui qui, par prudence intellectuelle, était initialement perçu comme une personnalité timorée, tant sa modération était notoire, devint dès 2003 un authentique donneur d’alerte. «Nous vivons, écrivait-il à cette époque-là, sous un totalitarisme d’une autre ère s’appuyant sur le culte de la personnalité, le mépris du peuple et la profanation permanente de la Constitution et de ses institutions». En ayant fait le choix de ne plus jamais se taire, il décida très tôt (dès 2003) de rompre avec la majorité d’une classe politique instrumentée par le biais de la corruption et inapte à créer un «front» qui sanctionnerait le régime. Évidemment, avant lui, de nombreuses initiatives jetèrent la lumière sur les pratiques d’un régime dénué du moindre scrupule. Sauf que toutes ces mises en garde demeurèrent en deçà des diagnostics rendus publics par un certain dénommé Benbitour. Celui-là, crédible grâce à la réputation l’ayant accompagné tout au long de sa carrière, ne pouvait qu’être cru sur pièce dès lors qu’il n’a jamais bénéficié d’un quelconque fonds de commerce politique à défendre. Il y a de cela 17 années, il ne s’était pas empêché de démystifier le bouteflikisme au moment où, pourtant, celui-ci fascinait encore les foules. «Un refuge, écrivait-il, de politicards pathologiquement intrigants et hermétiques à la transparence». Un terrible constat qu’il conclura par un cri d’indignation se demandant jusqu’à quand « l’Algérie allait continuer à subir l’irrationnel, l’illusoire et le perfide». C’était en 2003 et celui qui prédit les malheurs futurs n’avait-il pas eu raison avant tout le monde ? Voilà un plaidoyer susceptible d’agréer notre sceptique confrère car « l’homme providentiel» dont il a fait le portrait-robot semble coller à la perfection avec l’homme en chair et en os !
B. H.

(1) Lire dans Le Quotidien d’Oran du lundi 20 mai l’analyse de Moncef Wafi intitulée «L’homme providentiel» et publiée en page 2.

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