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Les islamistes légalistes ne sont même plus les idiots utiles du pouvoir !

«Henderson est aussi stupide que Kerenski, et pour cette raison il nous aide.» Lorsqu'il a fait cette déclaration, Lénine évoquait le rôle d'idiot utile historique, au profit de la Révolution prolétarienne, joué par l'homme politique britannique Arthur Henderson, leader du Parti travailliste. Rôle similaire campé d’autre part par Alexandre Kerenski, ministre-président du Gouvernement provisoire de la Russie prérévolutionnaire, avant d'être chassé du pouvoir par les Bolcheviks lors de la révolution d'Octobre. En Algérie, les idiots utiles du pouvoir, ce sont notamment les islamistes légalistes, c'est-à-dire la branche algérienne du Mouvement des Frères musulmans, avec ses différents rameaux. 
Au gouvernement comme dans l'opposition purement formelle, cette mouvance, qui pratique en général l'entrisme et qui alterne participation au gouvernement et opposition virtuelle à l'intérieur et à l'extérieur du Parlement, a bien servi les pouvoirs successifs depuis 1995. Tout en contribuant quelque peu à la sauvegarde de la paix civile et la stabilité sociale. Il est vrai que cette partie de l'islamisme algérien a été largement payée en retour, avec des maroquins au gouvernement et les subsides subséquents dans le monde des affaires au profit de certaines de ses figures. 
Pour leur permettre de contribuer à la stabilité politique et la paix sociale, les pouvoirs successifs avaient fait bénéficier ces partis islamistes légalistes de quotas parlementaires plus ou moins importants. Mais, au fur et à mesure que leur représentativité, leur crédibilité et leur légitimité se rétrécissaient, la politique des quotas électoraux perdait elle aussi de son utilité. Encore plus en 2017 et 2021 où cette sphère islamiste est toujours assez divisée malgré son regroupement, un certain temps, au sein de deux alliances partisanes. Cette fois-ci, la sanction électorale est bien réelle, en dépit des vaines accusations et autres bruyantes récriminations du leader du MSP au sujet d'une supposée fraude électorale dont sa formation pouvait être la victime. 
Les islamistes légalistes sont désormais la troisième force parlementaire, sans réel pouvoir de blocage ou d’influence décisive. Cette configuration montre en tout cas que le pouvoir n'avait plus besoin, comme par le passé, de faire jouer pleinement aux Frères musulmans algériens leur rôle d'idiot utile politique et social. Les chiffres, même un temps contestés, sont tout de même une cruelle photographie. En tout état de cause, l'islamisme Bcbg régresse encore et ne semble plus capter l'adhésion du grand nombre que le pouvoir lui-même lui avait supposé. Notamment quand il l'avait associé au gouvernement en 1997, date à laquelle on avait vu sept ministres de Hamas, la matrice historique du MSP, entrer dans le gouvernement d'Ahmed Ouyahia. 
Cet islamisme, sans aspérités idéologiques et relativement modéré sur le plan religieux, semble attirer de moins en moins les classes moyennes, à l'exception d'une partie des enseignants et d'une certaine branche affairiste présente dans l'importation et l'économie informelle. Et on a même observé que cette catégorie commerçante rechignait nettement à se joindre à l'effort du gouvernement Sellal pour bancariser l'argent thésaurisé, et ramener ainsi les entrepreneurs de la sphère informelle de l'économie vers les circuits financiers officiels (taxation forfaitaire libératoire au taux de 7%). De même que l'on a noté que les clientèles traditionnelles des partis islamistes intégrées à la vie politique depuis 1995 ne se sont guère montrées enthousiastes à l'idée de souscrire à l'emprunt obligataire lancé par le même gouvernement Sellal en 2016. Notons donc que nombre de sympathisants de ces partis préfèrent des débouchés plus rentables pour leur argent, comme l'achat de devises sur un marché parallèle animé notamment par un certain nombre d'entre eux. 
On le constate encore aujourd’hui, l'islamisme modéré algérien ne fait donc plus recette en politique. Dans sa version politique active, c’est un kaléidoscope, difficilement audible et lisible. Il mobilise de moins en moins, ne séduit pas. Bref, il est en échec progressif. Après sa double défaite politique et militaire consécutive aux années du terrorisme djihadiste, il est dans un état de nette fragmentation. Usure et érosion du fondamentalisme traditionnel qui indiquent que le projet de réislamisation forcée de la société a échoué. 
L’échec de son offre politique ne signifie pas pour autant que l'idée de sécularisation a gagné beaucoup de terrain. Bien au contraire. L'État algérien n'est plus le seul à définir le religieux au moment où le sacré s'autonomise, alors même que l'on observe un grand développement de la religiosité, avec une manifestation de plus en plus exhibitionniste du sentiment religieux. Plutôt que de parler de retour du religieux, ce qui n'aurait pas de sens dans une société où l'islam est culte, culture et identité, il faut évoquer à la place un revivalisme musulman. Pas de nouvel âge religieux donc, mais une visibilité croissante et ostentatoire de l'expression de la foi. 
Qu'il soit dans l'opposition ou au gouvernement, l'islamisme politique actif se révèle par conséquent impuissant à récupérer le mouvement de reviviscence religieuse. Celui-ci échappe globalement à tout contrôle institutionnel, et ne se reconnaît plus ou presque dans aucune offre politique d’essence religieuse. Cet islamisme décrédibilisé, démonétisé, dévitalisé, et qui a les visages des figures historiques du salafisme, de l'islamisme algérianiste (djaz'ariste) et des Frères musulmans, a vécu. C’est désormais le temps de la «sainte ignorance» à l’ère de la religion sans culture, pour reprendre une fameuse formule de l’islamologue Olivier Roy. Une sainte ignorance qui aura alors créé ses propres repères politiques et ses propres marqueurs culturels dans la société. Présente dans le Hirak du 22 février 2019 et sur la planète des réseaux sociaux, elle aura peut-être demain ses propres partis politiques. 
N. K.

 

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