Mercuriale. Lorsque les grosses légumes…
… épluchent nos portemonnaies !
Nourrir sa famille ? Oui ! Mais prioriser vers qui les rations et l’attention vont ! Je commence toujours par ma teuf-teuf ! Ma guimbarde. Ma voiture. Ma caisse. Ma H’dida ! La soigner, la bichonner, l’entretenir, lui remplir la panse, la faire boire à satiété, la laver et la sécher de mes larmes énamourées, voilà la priorité. Mon épouse ? Mes enfants ? Ils peuvent attendre ! D’abord, c’est une question d’âge. Ma voiture est plus vieille que ma gamine. En soi, c’est une raison suffisante pour que je m’occupe d’elle avant le reste de la smala. Ensuite, la réalité des faits. Je n’ai qu’elle, par la force des choses. Qui est là, démarrant chaque matin au quart de tour, ou presque ? Ma femme ? Hum ! Hum ! Mes enfants ? Peuchère ! Qui pour répondre au moindre de mes désirs de bouger, de me mouvoir dans ce monde impitoyable ? Elle ! Elle, encore et encore. Alors, je veille sur elle. Je surveille son corps, scrutant la moindre ride. J’inspecte son dehors, son dedans, comme si ma vie en dépendait. Et ma vie en dépend, effectivement, moi dont les guibolles commencent à se dérober. C’est devenu un véritable challenge. Elle doit survivre aux épreuves du temps. Résister aux affres des années. Se revitaminer du cuir. Ou plutôt du similicuir de ses sièges. S’éclaircir les optiques pour mieux distinguer la route et les obstacles que cette chienne de vie met sur nos trajectoires. Tenir ! Tenir le plus longtemps possible. Et je l’accompagnerais jusqu’à sa fin de vie. Ou de la mienne. De toutes les façons, je n’ai pas le choix. Et surtout pas celui de la remplacer maintenant. Par quoi ? Par qui ? Même avec la dote la plus faramineuse, ma quête d’une nouvelle serait un échec. D’ailleurs, je ne sais comment font les autres — que je jalouse au demeurant — qui ont jusqu’à quatre voitures dans leur harem. Comment y arrivent-ils, les bougres de séducteurs-collectionneurs lubriques ? Où vont-ils collecter l’argent de la dote ? Mystère ! Mais trêve d’envie malsaine ! Je reste sur l’essentiel. Des taches sont apparues sur ma teuf-teuf ces derniers jours. Des taches inquiétantes sur ses bas-de-caisse. Et depuis que je les ai découvertes, elles ne cessent de grandir et de gagner du terrain sur toute l’étendue de sa tôle. Je me doute bien qu’il s’agit de taches de vieillesse. Ma compagne à beau me montrer les siennes qui rongent ses mains et ses bras, je n’en démords pas ! Il y a taches et tâches. D’abord, traiter les bas-de-caisse, en urgence. Ceux de ma guimbarde, bien sûr. Ensuite, ensuite seulement, m’occuper — ou pas — de chercher une femme de moins de trois ans de tâches. Et pour ça, vous en conviendrez, il faut une voiture en état de fonctionner. L’âge rend ignoble ? Dites-ça au ministre de l’Industrie et aux mandataires de l’argus auto ! Pas à moi qui noie ma déchéance morale et automobile dans du thé que je fume pour rester éveillé à ce cauchemar qui continue.
H. L.
