- Tu vois, là, dans la foule des manifestants ? C’est un magistrat !
- Ah bon ! Et à quoi tu vois ça ?
- Depuis le début de la marche, il a un téléphone collé à l’oreille !
- ???
Qui a vu qui quand et où ? C’est le jeu à la mode depuis quelques heures. Les noms et les lieux circulent. Et même lorsqu’ils ne circulent pas, on les fait circuler bessif, les dotant de moteurs bricolés à la va-vite ! « Et toi, on t’a contacté ? » « Oui, Si Lakhdar m’a contacté, je l’ai vu, mais il m’a demandé de ne pas ébruiter la chose. Je peux compter sur ta discrétion, bien sûr ? » Et l’autre de répondre « Bien sûr ! ». Très bien sûr ! Désolé de gâcher l’ambiance, de foutre le spleen, mais la démarche est déjà de guingois. Pour une raison toute bête. La 2e République tant espérée et attendue semble se construire avec les instruments et outils de la 1re République tant honnie ! On consulte dans les alcôves. Dans les méandres filandreux des hôtels étoilés, sans dire quoi ! Oui sans dire quoi ! Ceux qui sortent le vendredi et ont créé de toutes pièces cet instant magique ont tout le reste de la semaine, le samedi, le dimanche, le lundi, le mardi, le mercredi et le jeudi pour être informés des contacts et démarches. En toute transparence. C’est par exemple le rôle des télévisions publiques. En tant qu’actionnaires majoritaires et exigeants de la révolution, les millions de manifestants du vendredi ont droit au direct-live du travail de construction en cours. Et pas à des chuchotements de couloirs ! Pas à des brises marines dont on dit qu’elles seraient plutôt « Charki » que « Gharbi » ! Ou l’inverse ! Sinon, sans cette garantie-là, autant retourner au travail des Caves Savantes ! Et Dieu sait que si les Caves Savantes nous avaient réussi, nous n’en serions pas là aujourd’hui ! Je fume du thé et je reste éveillé, le cauchemar continue.
H. L.
