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Rubrique Reportage

LES CANARIES REFUGE DES CITOYENS SAHRAOUIS Affronter l’océan pour fuir le colonialisme marocain

De notre envoyé spécial à Las Palmas
de Gran Canaria, Tarek Hafid

Face à la colonisation de leur pays, de nombreux Sahraouis choisissent de prendre la mer pour se réfugier aux îles Canaries. Véritable trafic aux mains de barons affiliés au Makhzen, les réseaux de transport des migrants brassent chaque année des millions d’euros. Rencontre avec un Sahraoui qui a quitté sa terre natale face à la pression des forces coloniales.

Havre de paix au milieu de l’océan Atlantique, les îles Canaries attirent chaque année des millions de touristes. Plages de sable blanc et noir, volcans, paysages à couper le souffle, culture hispano-berbère, climat tempéré… la province espagnole possède de nombreuses richesses. Mais le revers de la carte postale est plutôt sombre : l’archipel est devenu, depuis une vingtaine d’années, une destination pour de nombreux migrants clandestins.
Des milliers de candidats à l’exil embarquent à partir des côtes sahraouie, marocaine, mauritanienne et sénégalaise pour espérer arriver sur ces terres européennes situées dans l’océan Atlantique. Beaucoup fuient la guerre et la misère. Tous espèrent qu’une vie meilleure débutera sur une plage de Lanzarote ou de Fuerteventura. Pourtant, une catégorie de migrants a un seul objectif : fuir le colonialisme marocain au Sahara Occidental, le dernier territoire d’Afrique sous occupation.

Privé d’études
«Nos compatriotes qui optent pour ce départ forcé sont de plus en plus nombreux », explique Andala Deidih, responsable de la communauté sahraouie sur l’île de Gran Canaria. C’est grâce à lui que nous avons pu rencontrer Hamadi, arrivé dans l’archipel au courant du mois d’août 2021. Âgé de 34 ans, marié et père d’une fillette, Hamadi est l’exemple même du migrant politique. Originaire de Lâayoune occupée, il a accepté de parler de son parcours mais de ne pas tout raconter. « Ma famille pourrait subir des exactions », dit-il, la voix grave, en sirotant un cortado, le café au lait espagnol. Le colonialisme, Hamadi le subit depuis son enfance. Il a quitté l’école dès le primaire à cause d’un professeur qui ne voulait plus de lui en classe. « J’ai dû arrêter en classe de sixième. Mon père n’a pas pu m’inscrire dans une autre école pour reprendre mes études. J’ai dû commencer à travailler très jeune pour aider ma famille. J’ai commencé comme manœuvre dans les chantiers puis comme ouvrier dans les élevages de volailles », explique-t-il avec regret.
Hamadi sera très vite rattrapé par le système répressif de l’administration coloniale. En 2005, il participe à l’Intifadha, le soulèvement des citoyens dans les territoires occupés. « J’avais hissé un drapeau du Front Polisario en pleine rue avec un groupe d’amis. Chacun de nous voulait l’accrocher à un poteau. Mais au même moment, sur la même artère, un autre groupe de manifestants avait mis le feu à un véhicule de la gendarmerie. Un gendarme avait également reçu une pierre sur la tête et avait été transporté en urgence à l’hôpital. En fait, des agents avaient filmé les manifestations. Il se trouve que le père d’un des manifestants travaillait pour l’administration coloniale, il était mokadem (chef de quartier). L’homme n’a pas hésité à livrer son fils à la police. Le jeune a donné les noms de tous ses amis et de ses connaissances.
La semaine suivante, des policiers sont venus à notre domicile au lever du jour et m’ont emmené au commissariat central de Laâyoune. J’ai été tabassé et insulté. Des agents m’ont obligé à chanter l’hymne marocain », raconte Hamadi. Son père s’est présenté au commissariat central pour chercher après lui mais il a été renvoyé par les agents. « Le jour d’après, j’ai été transféré dans un autre poste avec un groupe de Sahraouis. C’était un lieu sinistre connu des militants politiques puisque c’est de là qu’ils sont ensuite écroués. J’y ai subi un interrogatoire durant plusieurs heures. L’objectif des policiers était de m’humilier. Le lendemain, un agent m’a fait signer des documents et j’ai été libéré. Depuis cette période, ma vie est devenue un enfer. » Hamadi se retrouve fiché par l’administration coloniale pour avoir manifesté pour l’indépendance du Sahara Occidental. «Le colonialisme a fait de moi un suspect permanent », insiste-t-il.

Les réseaux de la mort
Au Sahara Occidental occupé, il est difficile pour un Sahraoui de trouver un travail stable et de vivre dignement. En fait, les postes de travail les plus intéressants, ceux qui permettent de vivre décemment sont réservés aux colons marocains ou aux Sahraouis qui sont proches de l’administration coloniale. Face à cette situation, Hamadi décide de quitter sa terre natale. L’unique solution qui s’offre à lui est de partir clandestinement en direction des îles Canaries. Il fait une première tentative en 2016 sur la côte de Tarfaya, ville située à environ 100 kilomètres au nord de Laâyoune qui a la particularité d’être face à l’île espagnole de Fuerteventura. « Cette tentative a tourné court lorsque la police coloniale a débarqué sur la plage. J’avais perdu les 10 000 dirhams (1 000 euros) que le passeur a sûrement partagés avec les agents », note Hamadi. Cette somme représente une année de travail dans les chantiers. «Les passeurs sont tous marocains.
Ils travaillent pour des réseaux mafieux affiliés au Makhzen. Ils sont généralement contrôlés par des officiers de l’armée, des gradés de la police et des personnalités politiques. Il y a énormément d’argent dans ce trafic. C’est le même système que celui de la production et de trafic du cannabis. Les passeurs sont donc les yeux et les oreilles des services de sécurité », souligne Andala Deidih.
En 2019, lors d’une autre tentative de rallier l’archipel espagnol, Hamadi se retrouvera embarqué dans un véritable drame. « J’ai dû me rendre avec des amis au sud du pays, près de la ville occupée de Dakhla. Nous avons passé trois jours et trois nuits en plein désert. C’était une situation très difficile. Le passeur nous a donné rendez-vous sur une plage et nous a fait embarquer dans une vieille patéras (embarcation). Il y avait avec nous Saïd Lili, un jeune militant politique, qui subissait des pressions de la part des forces marocaines. Une fois au milieu des flots, la barque a commencé à prendre l’eau de toutes parts.
La patéras pouvait transporter une quinzaine de marins mais nous étions quarante à bord. Aucun de nous n’avait de gilet de sauvetage, à part le passeur qui était à la barre. Soudain, le moteur s’est arrêté, le passeur a commencé à crier en disant que nous étions en panne. C’étaient des moments terrifiants car l’océan était démonté ce jour-là. Il était évident que ni les conditions météorologiques ni notre embarcation ne pouvaient nous permettre de faire une aussi longue traversée jusqu’aux îles Canaries.
J’avais un seau de 10 litres à la main pour écoper l’eau de la barque. Finalement, la situation était devenue trop dangereuse et je me suis donc jeté à la mer dans l’espoir de rejoindre la plage. J’ai nagé pendant une vingtaine de minutes. Finalement, ceux qui sont restés à bord ont tous péri lorsque la barque s’est retournée. Seuls 16 d’entre nous ont eu la vie sauve. Saïd Lili était mort en mer. C’était une expérience dramatique. Bien sûr, le passeur a aussi réussi à rejoindre la côte. J’ai compris, par la suite, que tout ce qui s’était passé durant ces quelques heures avait pour seul objectif de liquider Saïd Lili », relève Hamadi.

Pressions du Makhzen
Hamadi ne baisse pas les bras. Il tente sa chance une cinquième fois au courant du mois d’août 2021. Une connaissance lui a parlé d’un plan de départ à partir des côtes Tarfaya. « C’est la première fois que j’avais affaire à un passeur sahraoui. » L’origine du marin, même s’il peut s’avérer être un agent des Marocains, rassure quelque peu Hamadi. En fait, l’été 2021 a été marqué par une augmentation du flux des migrants à partir des côtes du Sahara Occidental et du Maroc vers l’Espagne, les îles Canaries et l’enclave de Ceuta. Un phénomène pensé et organisé par les autorités pour faire pression sur le gouvernement espagnol qui avait accueilli le président de la République arabe sahraouie démocratique (RASD) suite à des complications dues à une contamination au Covid-19.
«Le Makhzen a encouragé les Marocains et les migrants subsahariens à partir clandestinement vers les îles Canaries. Cette opération avait été montée en même temps que le passage de milliers de Marocains vers l’enclave de Ceuta. En l’espace d’un mois, près de 10 000 migrants clandestins sont arrivés dans les îles Canaries. De nombreux mineurs ont fait la traversée jusqu’aux îles Canaries. Malheureusement, il y a également eu de nombreux morts », affirme Andala Deidih. Selon les autorités espagnoles, du 1er janvier au 29 août 2021, 9 255 migrants clandestins sont arrivés sur l’archipel des Canaries, soit une augmentation de 135%, comparativement à la même période de l’année précédente.
Hamadi fait partie des statistiques de cette vague d’exil. « Nous étions 34 dans la barque, des Sahraouis ainsi que des personnes venues de pays subsahariens. Il y avait quatre femmes avec nous, dont une qui était enceinte. L’embarcation était bien entretenue et le moteur était puissant. Nous avons eu beaucoup de chance car l’océan était calme ce jour-là. Après 17 heures de navigation, nous avons commencé à voir les côtes de l’île de Fuerteventura. Nous avons été interceptés par un bateau de la marine espagnole. Les militaires nous ont forcés à les suivre jusqu’à un navire plus grand, nous sommes montés à bord pour être conduits sur l’île de Lanzarote.
Après trois jours à Lanzarote, nous avons été transférés dans un centre de migrants de Fuerteventura. Je dois dire que les Espagnols ont été très corrects. Au mois d’octobre, j’ai été transféré sur l’île de Gran Canaria, où je suis hébergé dans un centre à Las Palmas. »
Hamadi est actuellement le seul Sahraoui dans ce centre. Ses autres compatriotes ont été envoyés en Espagne. Le gouvernement des îles Canaries a peu de moyens pour gérer cette crise, il a donc obtenu des autorités espagnoles que les migrants soient déplacés sur le continent durant la phase de procédure administrative.

Les faux Sahraouis
Quel est le statut des Sahraouis lorsqu’ils arrivent sur le territoire espagnol ? « Les dispositions de la loi sur l’immigration s’appliquent à toute personne qui entre illégalement en Espagne. Cependant, les Sahraouis bénéficient d’un statut spécial puisque l’Espagne est toujours considérée comme la puissance administrante au Sahara Occidental. D’ailleurs, nos parents ont tous des papiers d’identité espagnols. Cela permet aux membres de notre communauté d’obtenir des documents dans le cadre d’une procédure de regroupement familial. D’ailleurs, de nombreux migrants clandestins marocains tentent de tromper les autorités espagnoles en se faisant passer pour des Sahraouis, afin d’obtenir une carte de résidence. À tel point que dans les îles Canaries, des Marocaines n’hésitent pas à porter la melahfa, la tenue traditionnelle des femmes sahraouies. Il faut savoir qu’en Espagne, la communauté sahraouie est respectée car ses membres respectent les lois et ne causent pas de problèmes », indique le représentant de la communauté sahraouie sur l’île de Gran Canaria.
La mission d’Andala Deidih consiste à prendre attache avec les Sahraouis dès qu’ils arrivent sur l’île. «Je dois confirmer qu’ils sont issus de familles sahraouies. Pour cela, je prends attache avec leurs proches dans les territoires occupés. C’est donc un véritable travail de recherche qui permet également de rassurer les familles. » Hamadi doit encore patienter quelque temps dans le centre de migrants de Las Palmas. «J’attends de passer devant les services de police pour présenter ma situation. Mon dossier doit être étudié par l’administration pour me permettre d’obtenir des papiers. »
Son histoire, Hamadi l’a consignée dans ses moindres détails depuis plusieurs années. « J’ai beaucoup de choses à dire sur l’enfer que j’ai vécu à cause de l’occupation de mon pays. Aujourd’hui, mon seul objectif est d’obtenir des papiers afin de me permettre d’engager une procédure pour que mon épouse et ma fille me rejoignent en Espagne. Je veux qu’elles soient en sécurité. »
T. H.

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