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Rubrique Reportage

ILS VOULAIENT FUIR LEUR COMMUNE ET LE PAYS COMME DES CENTAINES D’AUTRES Partis en janvier de Cap-Djinet, 30 à 40 harraga n’ont plus donné signe de vie

Reportage réalisé par Abachi L.
Seraient-ils disparus en mer ? En tout cas, Ali, qui nous a fait une confidence spontanée, en est convaincu.
«Vous avez une caméra, alors mettez-la en marche parce que j’ai le cœur plein au sujet des harraga. En janvier 2020, quatre barques sont parties de Ouled Bounoua ; deux sont arrivées en Espagne,  alors que pour les deux autres, leurs occupants n’ont donné aucun signe de vie», nous lance Ali (nous avons changé le prénom), 20 ans. Il nous a fait cette révélation à quelques dizaines de mètres de la mer et de l’endroit d’où seraient parties ces quatre barques. Nous insistons sur la véracité de sa déclaration. aâmmi Saïd, 67 ans, voisin de Ali dans l’agglomération de Ouled Bounoua, dans la commune de Cap-Djinet (est de la wilaya de Boumerdès), qui  suivait  notre échange, intervient pour appuyer les dires du jeune homme. 

Selon eux, dans chaque barque, il y avait entre 15 et  20 jeunes. Nous revenons le lendemain dans ce village situé en bord de mer, au milieu de la ZET (Zone d’expansion touristique) pour chercher d’autres informations. Le sujet étant sensible et sous couvert du secret, les réponses à nos questions sont difficiles à obtenir. 
Après avoir discuté avec un commerçant d’une soixantaine d’années, ce dernier n’a pas démenti les assertions de ses voisins sur le départ des quatre barques mais a évité d’en dire plus. L’information d’Ali est crédible. 
Le 22 janvier nous avons eu une autre confirmation à partir de Zemmouri au sujet des quatre canots de Ouled Bounoua. 
Cette source nous a également révélé que quatre autres barques avaient pris le large en janvier à partir de Zemmouri ElBahri (3) et de Benyounès (1). Deux n’ont toujours pas donné signe de vie. Nous n’avons pas pu vérifier cette dernière information. En vérité, nous nous sommes dirigés vers Cap-Djinet et Ouled Bounoua, plus exactement, pour de plus amples informations sur la destruction irréversible de la zone touristique par des constructions illicites et l’abandon des locaux commerciaux dits «de Bouteflika». Nous poursuivons nos recherches. Direction quartier La Carrière, toujours dans la commune de Cap-Djinet, où nous rencontrons 
N., 36 ans, un activiste du Hirak qui est bien informé, sur tout ce qui se passe dans sa commune. Il n’a pas nié l’information relative aux quatre barques de Ouled Bounoua. Pire, il nous a affirmé que trois  avaient pris le large depuis le début de l’année à partir de la plage La Carrière où il habite. 
«Il y a beaucoup de jeunes qui partent de Cap-Djinet, généralement vers l’Espagne. Effectivement, il y a des embarcations qui ont pris le large vers l’Espagne durant ce mois de janvier 2020. Il y a des harraga qui ne sont pas de Cap-Djinet mais qui ont des contacts là-bas pour pouvoir embarquer. En janvier, trois départs ont eu lieu de la plage La Carrière. Le convoi comportait entre 15 et 20 harraga. Ils sont tous arrivés en Espagne.» En résumé, au minimum, sept barques seraient parties ce mois de janvier de Cap-Djinet avec à leur bord entre 105 et 140 personnes. 
N. précise encore : «Il y a lieu d’ajouter d’éventuelles barques qui pourraient prendre le large à partir des plages de Dellys, Sidi-Daoud, Laghata, Zemmouri, Thénia ou d’autres endroits de la wilaya de Boumerdès.» Selon notre interlocuteur qui était accompagné de ses deux amis, en 2019, ils étaient nombreux à risquer leur vie à partir de Cap-Djinet pour une vie meilleure.Nous insistons sur le nombre. «Il faut compter plus de 300 personnes dont l’âge se situe entre 15 et 40 ans. Il y a parmi eux des diplômés. La majorité est arrivée,  malheureusement il y a eu des morts et des disparus.»

L’irrésistible appel de la mer pour échapper à la hogra et à la misère
Le 21 septembre 2019 nous nous rendons au village Ouled Bounoua qui venait de vivre un drame. Une barque de harraga partie de ce village a chaviré au large de Dellys. Bilan : 6 corps repêchés alors que 7 n’ont pas été retrouvés à ce jour. Nous rappelons les propos du père de l’une des victimes : «N’ayant aucun avenir, je crains que ses huit autres frères finissent eux aussi par partir pour fuir le chômage, la pauvreté, la promiscuité, l’injustice, la hogra et la corruption.» 
(Le Soir d’Algérie du 26 septembre 2019). Ce jour de janvier 2020, un jeune nous le rappellera : «Chez nous, c’est la hogra qui conduit à la harga.» En effet, l’on ne peut échapper à cette question. Comment se fait-il qu’une commune comme celle de Cap-Djinet – environ 24 000 habitants –, qui a un énorme potentiel économique dans les secteurs du tourisme, de l’agriculture, de la pêche et récemment dans l’industrie énergétique, est-elle arrivée à pousser ses jeunes à miser leur vie dans un jeu macabre pour tenter de rejoindre des cieux où ils seraient débarrassés de leur frustration ? 
«En matière de frustration, nos responsables locaux nous fournissent matin et soir des doses !» Paroles de jeunes de Cap-Djinet qui n’ont que la colère et l’indignation pour moteur de leur vie. Nous avons soumis, par écrit, au P/APC de Cap-Djinet 8 questions sur le problème des harraga et sur d’autres que nous allons relater, nous avons attendu la réponse pendant 5 jours. En vain.
Chômage, précarité et destruction 
du potentiel économique
Documents en main, des citoyens, scandalisés par ce qui se passe dans leur commune, nous ont interpellés pour alerter l’opinion publique. Pendant trois jours nous avons sillonné les quartiers et villages de Ouled Bounoua, Benouali et Laardja, sur des routes souvent défoncées et impraticables après les chutes de pluie pour constater les conditions de vie  difficiles de la population ; à certains égards, pénibles.
Amèrement, les plus âgés regardent matin et soir les jeunes végéter et tourner en rond sans aucune perspective. «Chez nous, le chômage avoisine les 100%, surtout depuis la fin du projet de la construction de la seconde centrale électrique. Comme c’est courant en Algérie, le recrutement pour les postes permanents se fait par copinage. Les enfants de Cap-Djinet en sont donc totalement exclus», nous a confié N., cité plus haut. Au plan de la prise en charge des problèmes sociaux des habitants de cette municipalité, il y a énormément à dire. 
Nous nous contenterons de quelques insuffisantes criardes. 
Au cours de notre périple, nous avons constaté que 4 salles de soins de villages sont fermées. Deux sont squattées par deux familles. «Celle d’El Ardja devait rouvrir en 2017 après sa rénovation, mais le P/APC a été accusé de falsification de marché. Il voulait l’attribuer à son ami. 
Une plainte est déposée contre lui auprès du procureur du tribunal de Bordj-Menaïel, nous a dit un habitant de ce bourg qui se plaint du manque de transport public. 
Nous avons découvert au village  Ouled Bounoua et au quartier El-Merdjaque 56 locaux commerciaux, dits «locaux de Bouteflika», dans un état lamentable alors qu’ils pourraient générer au minimum 100 postes 
d’emploi. 
«Ils sont présentement des points de délinquance, de vente de drogue et de boissons alcoolisées. A  la nuit tombée, ils servent de refuges aux immigrés clandestins», témoigne un voisin d’El-Merdja. c La ZET de 463 hectares qui pouvait valoir à cette localité un développement durable dans le secteur du tourisme est, en grande partie, définitivement perdue à cause de  constructions illicites au bord de la mer, sur le domaine public maritime. Une source proche de l’APC nous confiera à ce propos : «En matière de construction, l’Etat et la loi sur l’urbanisme ne sont que des mots chez nous. 
Vous pouvez cibler un terrain du domaine de l’Etat ou de la commune et même agricole, vous négociez et vous construisez sous protection. Vous pourrez même acquérir une attestation stipulant que la construction date d’avant 2008 pour bénéficier de la régularisation dans le cadre de la loi 8/15.» 
L’urbanisme est gravement altéré par des centaines de constructions illicites. Aucun espace n’est épargné. 
L’Etat et la commune n’auront plus de terrains pour implanter les équipements publics. Des citoyens nous ont accosté au centre-ville. L’un d’eux n’a pu contenir sa colère : «Voyez l’état de la route principale (RN24 ndlr) de la commune ! Voyez les trottoirs de la ville sur lesquels on a érigé des commerces interdits ! Même la grande route n’a pas échappé aux constructions sauvages ! C’est trop grave pour se taire ! Nous exigeons une enquête sérieuse !» 
Un passant s’insurge : «Lorsque des châteaux s’érigent par des gens favorisés au mépris de la loi et avec la bénédiction des élus locaux, cela fait naître un sentiment de frustration chez les exclus.» Lorsqu’un chef de service des biens communaux accapare un terrain communal sur le bord de la RN68 — en cours d’élargissement — et construit illégalement et en toute impunité 4 garages qu’il loue à coups de dizaines de millions, que pensera et que fera le simple citoyen ? En plus de la défiguration de la ville et du non-respect des lois de l’urbanisme, il y a la destruction de l’environnement. 
Le chef-lieu communal, situé du piémont, est exposé aux inondations comme celles de Dellys en 2007. Et les responsables communaux dans cette situation ? Nous avons collecté des avis majoritairement défavorables. 
Le P/APC est, par ailleurs, sous la menace d’une inculpation puisque 3 plaintes ont été déposées contre lui auprès du procureur du tribunal de Bordj-Menaïel. 
Deux accusations graves et fortement argumentées concernent, selon les documents qu’on nous a présentés, des falsifications de marchés et l’utilisation abusive de la formule du gré à gré pour attribuer 80% des marchés communaux à une famille. 
La troisième, ayant une connotation politique, est relative à l’agression physique d’un citoyen qui se trouvait dans son véhicule garé à l’intérieur du parc du siège communal  par le premier magistrat communal. 
C’est le représentant local du candidat Ali Benflis, auquel le médecin légiste a accordé 4 jours d’arrêt de travail qui a porté plainte contre le maire. «Au sujet de la mauvaise gestion de la commune, certains responsables de diverses institutions qui ont construit illégalement ces dernières années des villas et des bungalows de vacances à Cap-Djinet obstruent les investigations et empêchent le changement. Ils s’exposeront.» C’est l’avis d’un observateur. Il n’est pas loin de la réalité.
A. L.

 

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