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Rubrique Société

Coronavirus et crise d’angoisse Gérer son psychique pour préserver son physique

Devant le flux de mauvaises nouvelles et l’angoisse qui prend à la gorge face aux dangers du coronavirus, il est « normal » que les nerfs prennent un coup. De plus en plus, des scènes d’angoisse ou carrément d’hystérie sont vécues. Comment les prévenir et les gérer ?

Salah, la cinquantaine, a décidé de son propre chef un confinement en déposant un congé mais l’entreprise pour laquelle il travaille a dû le rappeler. «Je ne peux pas travailler, je n’y arrive pas. Je suis au bord des pleurs.  Le matin pour sortir de chez moi, il m’a fallu un immense courage. J’ai l’impression qu’il y a un grand  danger en dehors de chez moi. Même pour conduire, j’ai eu beaucoup de mal», nous confie Salah en versant quelques larmes qu’il a eu du mal à contenir. Tout en ajustant ses gants, il demande si le genre de masque qu’il a peut le protéger. «Est-ce qu’ils se rendent compte qu’on ne peut pas travailler si au moins nos responsables  savaient communiquer,  nous parler et nous rassurer ? Mais ce n’est pas le cas et nous savons tous que notre système de santé est défaillant. Pourquoi jouent-ils encore avec nos nerfs ?», ajoute cet employé.
Et ce n’est pas un cas isolé. «Je ne dors plus depuis plusieurs jours. Je me sens fatiguée. J’ai une toux imaginaire qui me prend sans savoir pourquoi. Je suis devenue susceptible. Et on me demande de continuer à travailler normalement. Ceux qui peuvent prendre un congé sont chanceux. Dans notre cas, notre gérant refuse en se disant que cela va passer. Et j’ai peur de ne pas partir travailler car je me dis que je suis en bonne santé et si je reste au chômage c’est encore plus catastrophique. Le pire dès qu’on annonce un chiffre, j’ai une crise de côlon qui me prend et ne disparaît qu’en fin de journée», raconte Nabila, employée chez un distributeur de téléphonie mobile. Pour Dr Belkheir Rachid, psychologue et enseignant chercheur au département de psychologie, Faculté des sciences humaines et sociales, de l’Université Mouloud-Mammeri de Tizi-Ouzou : «La peur, l’anxiété ou l’angoisse dont beaucoup de personnes souffrent, ces derniers temps, sont des peurs justifiées, réactionnelles à un danger réel qui menace leur intégrité physique, leur existence et celle de leurs proches. Les effets du coronavirus que les réseaux sociaux et différents médias ont véhiculés objectivement ou par exagération ont eu des conséquences sur le mental. Ses conséquences désastreuses et la mobilisation du monde entier qui s’est mis en quarantaine pour lui faire face ont également un effet sur les personnes. Cette peur ou cette angoisse qui est normale et constructive au début peut prendre d’autres dimensions surtout chez des personnes vulnérables psychologiquement et peut devenir une peur ou une angoisse pathologique destructive à l’origine de déclenchement de différents troubles psychologiques comme les crises d’angoisse,  la dépression, les phobies, les obsessions et même le déclenchement des maladies psychosomatiques  ou les complications de celles existantes.»

Reconnaître les crises d’angoisse
«Si on ne décède pas du coronavirus, on mourra par la peur !», c’est ce que déclare Nadia, habitant à Médéa qui comptabilise un décès et dont un parent travaille avec elle. «C’est pour cela que je n’ai pas attendu la décision des plus hautes autorités pour le confinement. J’ai décidé seule de prendre une avance sur mon congé pour ne plus paniquer, ni avoir à partager les crises d’angoisse de mes collègues. Si j’arrive à gérer les miennes et celles de ma mère, c’est déjà pas mal. Et déjà depuis quelques jours, je ne regarde plus les chaînes d’information et même sur Facebook, je me suis carrément déconnectée.»
A ce sujet, Dr. Belkheir Rachid explique que les personnes en proie à des crises d’angoisse sont des personnes qui montrent plusieurs symptômes psychologiques, comportementaux et des manifestations somatiques telles que la sensation de peur, d’inquiétude, de panique ou malaise, irritabilité, un impact négatif  sur la perception du bonheur, du plaisir et rétraction de la vie sociale et relationnelle, troubles de l’appétit  (anorexie, boulimie), trouble de sommeil, et également des manifestations somatiques comme les tremblements, les difficultés respiratoires, palpitations cardiaques, sensation d’étouffement, douleurs dans la poitrine,  nausées.

Vaincre ses angoisses
«Pour ma part, mon remède pour tenir psychiquement, c’est que mon corps se sente bien. Et cela passe nécessairement par le sport. Avant la décision de la fermeture des salles de sport, j’avais un abonnement à raison de trois jours par semaine. Eh bien, pour y remédier, j’ai installé des applications sur mon téléphone et j’essaye de m’y appliquer », raconte Souhila. Nacer a une tout autre méthode : «Depuis une semaine, soit une semaine après le premier décès, je ne regarde plus les informations carrément ; je regarde les chaînes de dessins animés MBC3, Disney Chanel, Tom et Jerry, tout passe. Comme je n’aime pas le foot et les longs films, pour moi, c’est le meilleur défouloir.»
Dr Belkheir Rachid souligne que la gestion du stress face à des situations de danger ou des situations à problèmes se base généralement sur deux mécanismes : la gestion du stress basée sur les émotions ou sur le problème. Le psychologue et enseignant chercheur au département de psychologie relève que le passage à la gestion du stress basée sur le problème est une étape importante pour lui faire face, c'est-à-dire la personne ici essayera de s’informer et de comprendre la source du stress et de s’informer sur les modes de contamination et sur les moyens préventifs. Ce qui va la pousser à se concentrer, à s’occuper, à fournir des efforts pour atteindre les objectifs de cette prévention. Donc une quantité importante de son énergie va être destinée aux comportements de faire face au lieu qu’elle se focalise sur la destruction psychique. Car le stress et l’angoisse s’accentuent avec l’ignorance  et la mal-compréhension du problème.
Dr Belkheir Rachid relève que le soutien psychologique et social est très important pour aider ces personnes à surmonter leurs angoisses, notamment le soutien affectif qui peut être fourni par les membres de la famille (époux/épouse, frère/sœur, père/mère, fils/fille,  cousin/cousine…) et par des amis et le soutien informatif qui peut être fourni par les personnels de la santé comme le médecin, le spécialiste  (en les consultant ou à travers leurs vidéos postées sur les réseaux sociaux, à travers les émissions …) à condition qu’il soit une source digne.
«Et l’occupation de la personne dans des activités de loisirs comme la lecture, des travaux manuels, le sport individuel qui respecte la notion du contact, peuvent aider la personne à surmonter des angoisses», note encore Dr Belkheir Rachid.
Ce dernier relève enfin que les consultations psychologiques sont toujours bénéfiques quel que soit le degré de ces angoisses. Mais elles deviennent indispensables quand la personne n’arrive pas à baisser ses souffrances malgré ses tentatives d’adaptation. Dans certains cas, cela nécessite même la collaboration du psychiatre surtout quand elles sont accompagnées d’idées suicidaires.
Sarah Raymouche

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