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Rubrique Tendances

Digressions «marsiennes»

Cette chronique m’est inspirée par deux éléments déclencheurs ; le premier est lié à l’interdiction des ventes-dédicaces  à la librairie Multi-Livres de Tizi ; le second revient à la chronique de l’ami Arezki Metref, intitulée Jours tranquilles à Tizi, Le Soir d’Algérie du 8 mars. C’est ce qui explique le titre de celle-ci : « Digressions marsiennes ». Bien sûr, l’actualité est florissante (je ne sais pas si je peux utiliser ce qualificatif). Le Hirak, encore et toujours. Le coronavirus, plus inquiétant que jamais. La pluie, enfin. Un peu de neige, c’est toujours ça de pris. Bien sûr, il n’y a pas que ça. A chaque citoyen ses priorités du quotidien. Ses attentes. Et ses angoisses. Tout ne va pas dans le meilleur des mondes. La mer bouffe toujours nos enfants, qui n’arrivent pas à supporter leur « petite vie » en Algérie. Pour aujourd’hui, je préfère m’arrêter à deux axes. D’ici la chute de cette chronique, il se pourrait que j’inclue d’autres digressions. Mars est le mois des fous, dit-on ; je n’ai jamais compris pourquoi une telle assertion.
La librairie Multi-Livres, appelée par les anciens « Si Ali Ou Cheikh », existe depuis la fin des années 20. Oui, je dis bien depuis la fin des années 20. Je me rappelle comme si cela datait d’hier (clin d’œil à Mouloud Feraoun), j’ai acquis mon premier dictionnaire à la fin des années cinquante. Je crevais de posséder un dictionnaire. Je n’ai pas trop insisté auprès de mon père pour me l’offrir. Je m’en rappelle très bien : Le Petit Larousse, en couleurs, avec une couverture cartonnée de couleur grise, des planches en quadrichromie et la fameuse liste des noms propres. J’étais fier de mon achat. Ce fut mon « doudou », mon ami, ma référence et mon guide. Quatre générations sont passées dans cette librairie, du grand-père au petit-fils. Ce n’est pas rien ! En ce temps-là, nous n’avions pas de télévision. Dès lors, on s’approvisionnait en illustrés (Blek, Akim, Zembla, Elastoc, X 13, Popeye…) auprès de « Si Ali Ou Cheikh ». Ces illustrés étaient nos programmes de télévision. Les choses ont changé, me diriez-vous. Eh oui, il suffit de manier la « zappette » pour convoquer tous les programmes du monde. La librairie a changé, elle s’est modernisée. Le livre occupe une place prépondérante, désormais ; puisque tout un étage lui est réservé. L’amour du livre est toujours là. La passion du livre anime toujours les héritiers de « Si Ali Ou Cheikh ». Moi qui fréquente ce temple du livre depuis au moins la fin des années 50, je peux en témoigner.
Les séances de signature sont devenues une nécessité de faire rencontrer l’auteur (écrivain, poète, essayiste, caricaturiste…) et son lectorat. Ainsi, des ventes-dédicaces sont organisées une fois par semaine dans une ambiance livresque bon enfant. Sans protocole. Sans chichi. Le lecteur achète son livre, avec la signature de l’auteur, sans oublier la sempiternelle photo. C’est devenu une tradition à Tizi, comme à Alger, à Oran, à Béjaïa, et ailleurs. Des auteurs les plus illustres aux auteurs débutants ont défilé à la librairie Multi-Livres. Au hasard, je cite : Yasmina Khadra (pas qu’une seule fois), Ali Dilem (l’excellent caricaturiste de Liberté), Leïla Aslaoui (la courageuse), Kamel Daoud (le caustique chroniqueur), Amhis Djouher (la pédagogue), Amin Zaoui (l’écrivain de la transgression), Laceb Djamel (un écrivain qui se réapproprie sa langue maternelle), Hakim Laâlam (le chroniqueur au vitriol du « Nez et la perte », du Soir), Saïd Sadi (l’écrivain de talent que la politique nous a volé), Lynda Chouiten (une auteure à découvrir à tout prix), Hanane Bouraï (une auteure aux promesses certaines), Kahina Temzi (elle n’a que 17 ans, c’est tout, mais tutoie déjà le talent), et d’autres. Je ne vais pas tous les citer. Voilà, toute bonne chose a une fin. La puissance publique a signifié son refus de ces séances de signature, conditionnées désormais par une autorité préfectorale (Drag). D’une simple décision administrative, on met sous la coupe du « bureau » la liberté d’un écrivain, d’abord d’écrire, ensuite d’aller à la rencontre de son lectorat. Le seul ballon d’oxygène livresque qui restait à Tizi vient d’être dégonflé. Je voudrais dire au wali de Tizi de ne pas rajouter à la sinistrose ambiante de la sinistrose. C’est tout !
Jours tranquilles à Tizi, titre lancé avec la douce ironie de l’ami Arezki. Oh, ce n’est pas pour porter la contradiction, mais beaucoup plus pour rajouter de l’eau au moulin du chroniqueur. Les jours ne sont plus tranquilles à Tizi ; ils l’étaient, je peux l’assurer. Ceux de ma génération se rappellent de cette ville coquette, proprette, douce à vivre, bien ordonnée, légère et aérienne. Ce ne sont pas des paroles de nostalgie. C’est la stricte réalité. Ça y est, « le remarquable travail de la librairie Cheikh » vient d’être stoppé par une décision bureaucratique. La lecture va désormais prendre des chemins d’infortune. Je veux juste rappeler qu’avant la verrue de la ville dite nouvelle, il y a eu la « rénovation du centre-ville », dans les années 70. Au lieu d’aérer justement ce centre vital, la grande rue pour les nostalgiques, il y a eu un effet d’entonnoir qui a été mis en place. S’il faut ajouter cette rénovation, les fameuses trémies qui n’ont fait qu’éviscérer ce point de chute des Kabyles. Pour moi, il n’y a eu ni rénovation ni oxygénation de Tizi. S’il pouvait parler, le rond-point (actuel jet d’eau ?) vomirait sa grande colère. 
L’urbanisme ? Je ne sais ce que c’est. Je ne le vois pas, du tout. Tenez vous bien les amis, on n’arrive pas à planter des arbres à Tizi. Des mains oisives s’amusent à assassiner ces plants. Depuis les années 70, les trottoirs de Tizi sont faits et refaits, sans jamais arriver à fixer correctement les carreaux. Du carrelage pour un trottoir ? Il faut être riche pour ce faire. Les routes sont défoncées. Les lotissements résidentiels sont un affront à l’architecture, à l’esthétique et à l’urbanisme. Que reste-t-il à Tizi ? Le café El Djenina est passé de vie à trépas. Le Studio est un trou béant. La rue de la Paix est sombre. Alors que la haute-ville (Taddert ou dechra) tient le coup vaille que vaille. Même la JSK n’arrive plus à soulever les foules. Au vieux stade Oukil-Ramdane, Kolli, Rafai, Anane, Haouchine, Merad, Derdar, Ouhabi, Khalef… ont écrit la gloire de ce club, avant le « Jumbo ». Pour un touriste, comment passer une journée à Tizi ? Difficile de répondre à cette question. Des boutiques, des boutiques, des boutiques, encore des boutiques. A gogo. A foison. Je fais le compte : du prêt-à-porter, des bijouteries, du chawarma, ensuite du prêt-à-porter, puis des bijouteries, enfin du chawarma. Oui, il peut aller s’ennuyer à mort à la Maison de l’artisanat. A voir en cinq minutes chrono. Zid ! Il n’y a rien à « zider », ya kho ! Même la forêt de Harouza n’a pas échappé à la sinistrose. Alors, flanqué de mes potes (Omar, Mus, Saïd et Vivou), nous conjuguons Tizi à un passé le plus simple possible. A la prochaine vente-dédicace, peut-être !
Y. M.

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