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Rubrique Tendances

ERRANCE INTÉRIEURE(7)

Depuis quelques jours, je me suis posé. Je suis toujours dans ma cambrousse. Dans ce village, enraciné sur le sommet d’une colline arrondie, qui porte le nom des At Wadu. Moi qui avais le feu à mes semelles, je n’arrive pas à reprendre les routes de ce pays improbable. Moi qui surprends l’aurore ici et là, je n’arrive pas à ouvrir la porte de mon village et retrouver cette liberté des sentiers improbables. Je m’en veux un peu. Le temps d’un regret fugace, j’efface de mon cerveau cette envie de reprendre mon baluchon. Ma fuite. Et mon errance. Je vais souvent reprendre langue avec ma pauvre mère, moi qui suis sur terre, et, elle, malheureusement, se trouvant confondue avec la poussière de ce cimetière ancestral. Je lui parle, à voix haute. Je lui fais des reproches. Je veux savoir les raisons de son abandon. Plus je lui parle, plus le silence se fait assourdissant. «Il n’y a pas de raison qu’elle te réponde, me dit une voix intérieure, elle est morte.» Mon cerveau enfumé refuse d’admettre cette vérité. Je fais un déni. Du reste, les villageois me regardent d’un air circonspect. Certains me considèrent comme fou. D’autres suspectent en moi une propension à la sorcellerie. Mon cerveau refuse d’entendre raison. Personne, ici bas, n’empêchera cette rencontre à sens unique. Il m’arrive de passer, assis à côté de la tombe, la journée entière. Je n’ai besoin de rien. Juste m’asseoir là. Jusqu’au moment où un de mes potes vient me chercher. C’est souvent Ali, malin comme un chacal, qui, trouvant les mots qu’il faut, arrive à m’extraire de cette position. Et de cette rencontre orpheline. Bien sûr, il m’emmène rapidement chez les autres. Souvent chez Chabane, le mélomane. Ramdane, le muscle saillant, est derrière la marmite. Il dispose de l’art de préparer des mets incroyables. Avec rien. Je ne connais pas ses recettes. Il ne veut rien dire. Il utilise diverses herbes. Ça suffit pour rehausser le plat. Ce n’est pas ce qui m’attire chez mes amis. Non, il y a surtout ce moment de beuverie. Et ces joints, dosés à plus d’un titre, qui me font péter les neurones. Et  me font planer. Et me font oublier que j’existe. Et falsifient mes tourments. Et ramènent à mes doigts inutiles mon «autre» vie. Je n’ai pas toujours été une loque humaine. Enfin je crois. J’ai été dans la «haute». Vous savez, ceux qui sont au-dessus de tous. De la masse. Du peuple. Ceux qui ont la décision. Ceux qui font le droit. Ceux qui l’utilisent. Ceux qui utilisent la force, le cas échéant. Ceux qui, d’un appel téléphonique, peuvent ouvrir toutes les portes. Celles du paradis. Celles de l’enfer, aussi. Ceux-là, «Eux». Ceux qui n’ont pas froid, ni chaud. Sur plusieurs générations. J’ai été de ceux-là. Jusqu’au jour où, ayant repris mon humanité, j’ai choisi de courir la déraison. La démence. La solitude. Sur des chemins improbables en ce pays improbable. 
Je vais vous parler de ceux qui ont les clés du ciel entre les mains. En même temps, ils sont au sommet de la pyramide. Et toute pyramide qui se respecte, sa base s’élargit au fur et à mesure que l’on est rien. Et les riens courent les rues. Mais «Eux», ceux d’en haut, se cachent pour mieux nous commander. Moins on les voit, mieux ils nous commandent. Un peu comme un dieu qui saute d’un nuage à  un autre. Moins on les voit, plus ils sont puissants. Moins on les voit, plus on les craint. J’ai été avec «Eux». Je ne sais plus comment. Je n’arrive plus à m’en souvenir. Suis-je fils d’un puissant ? Je ne sais pas. Je ne me souviens plus de mon géniteur. «Eux», tous, forment une confrérie. Une secte, voire. Puis, pas de mélange. Une confrérie hermaphrodite. Comme les escargots. C’est de cette manière qu’«Eux» détiennent le pouvoir. Le pouvoir de tout. Et sur tout. 
Je ne donnerai que leurs sobriquets. C’est simple, je n’ai pas envie de tomber entre leurs mains. Peur ? Bien sûr que j’ai peur. Seul un simple d’esprit peut ne pas ressentir la peur. Il y a d’abord  Belzebuth… D’accord ! Mais avant, il faut commencer par le plus prenant ; il s’agit de La voix de son maître. Celui-là est une espèce qui ne court pas les rues. Une espèce rare. La voix de son maître acquiesce à tout ce que dit le Boss. Puis il acquiesce à voix haute. Il le dit. Il le clame. «Comme il a si bien dit le Boss…» est son entrée en matière. Un perroquet. Mieux, un magnétophone, dernier cri. Il jouit en pommadant son Boss. Il prend son pied. Il bave d’aise. Ses pupilles se dilatent. Il se paie un orgasme incommensurable. S’il n’avait pas existé, il aurait fallu inventer La voix de son maître. Quant à Belzebuth, il est l’oreille, les yeux, la langue et le nombril du Boss. On dit que les murs ont des oreilles. Avec Belzebuth, ses oreilles font le tour des bureaux de la «Haute» et rapportent, dans le détail, tout ce qui se dit au Boss. Mieux, il invite les autres à taper sur le Boss pour mieux l’informer. Il dispose d’une mémoire phénoménale. Il n’oublie rien. Il n’a pas besoin de prendre des notes. Le fumeur invétéré, lui, n’est pas dangereux. Quoiqu’il faille se méfier de l’eau qui dort. Il a une clope collée entre ses lèvres. A croire que c’est un appendice naturel. Il fume comme il respire. Je n’ai pas le souvenir de l’avoir vu sans cigarette. Sa cage thoracique doit ressembler à une mine de charbon. Il n’est pas méchant, je lui donne le bénéfice du doute. L’endormi, lui, dort. Comme son nom l’indique, il dort les yeux ouverts. Si le Boss l’interroge, il montre qu’il est dérangé dans son sommeil. Je me suis toujours posé la question de savoir ce qu’il fait la nuit. Est-il une espèce de chauve-souris, à forme humaine ? Je ne le saurai jamais. Puisque moi-même je suis, depuis des lustres, un zombie hors du temps humain. Ah, le sang d’Indien ! L’Apache ! On ne le voit pas. On ne le sent pas. On a juste le temps de le voir apparaître. Et disparaître derrière un battement de cœur. Si, si, il existe réellement. Il fait partie de la «Haute». Mais il est dangereux. Vraiment dangereux. Dire qu’il y a tant de pièges à éviter de son secrétariat à son bureau est une évidence. Il faut savoir où poser le pied. Son royaume est bourré de bidules anti-intrusion. La tête de chien a une tête de chien. Il aboie comme un canidé. On dit souvent qu’un chien qui aboie ne mord pas. Lui, il aboie fort. Et mord très fort. J’ai toujours évité de le regarder droit dans les yeux. Mon ami, le véto, m’a prodigué ce conseil. Je me mets toujours en retrait. J’ai évité, ainsi, ses crocs. Par contre, certains de la «Haute» ont dégusté avec lui. Il mord au sang. Pour l’anecdote, j’ai conseillé un de la «Haute» de se faire vacciner après une morsure de la tête de chien. 
Je suis toujours avec mes potes. Le vin coule à flots. Les joints tournent à une vitesse supersonique. Je tire sur mon joint comme un veau. Je veux effacer mon autre vie. Mon outre vie. Je veux effacer de ma mémoire le moindre souvenir d’une vie que j’ai pénétrée par effraction. Comme une infraction. Ce n’est pas de moi. C’est une réminiscence d’un livre que j’ai lu dans un futur antérieur. Ah que celui qui pense se reconnaître dans ce délire sache que, dans ma naïveté en furie, je tente l’écriture d’un roman d’épouvante.
Y. M.

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