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Rubrique Tendances

Journée d’un confiné au temps du corona

Voilà, ça y est, la parenthèse a refermé ses griffes. Chacun est chez soi. On la refermera quand, cette foutue parenthèse ? Je ne sais pas. Qui peut le dire ? Il faut rester confiné, c’est le mot d’ordre. Pour le moment, il faut faire et refaire le tour de la maison. J’ai fait comme tout le monde. Je ne sors plus. Je ne peux pas sortir. Il y a trop de risques. Puis, une seule personne peut contaminer plusieurs autres ; c’est le principe. C’est dur de placer un mot derrière l’autre, de former une phrase. Le cerveau s’est assoupi avec le confinement. Ce n’est pas simple de tourner en rond, d’entendre les heures s’égrener en dodelinant du croupion, de scruter la pendule du salon et de zapper, d’une chaîne à une autre, à longueur de journée. L’enfermement, la quarantaine, ce n’est pas de la rigolade. 
Perso, j’ai un sommeil en pointillé. Mon toubib parle d’insomnie. Je le crois volontiers. J’ai oublié comment dormir d’une traite. Puis, j’ai toujours entendu dire que le meilleur sommeil est celui d’avant minuit. Minuit, la bonne blague ! Minuit, c’est encore le jour pour moi. Alors, je somnole un coup ; hop, je rouvre les yeux. Puis, je dois faire quelque chose. Je fais le tour de l’appart. La cuisine, d’abord. Oui, je m’amuse, malgré le contre-ordre de mon médecin, à grignoter. Je vais à la fenêtre ; dehors, les oliviers du jardin ne sont qu’ombres informes. Tiens, je prends un album de photos. Je rigole in petto. Je suis drôle avec mes cheveux longs. Et ma barbe à la Moustaki. C’est où, cette plage ? Oui, je reconnais Courbet-Marine (actuellement, Zemmouri-el-Bahri).  C’est quand ? La fin des années soixante. Je crois bien. Cette photo n’est pas mal. Du temps où j’étais bidasse avec des potes, que je n’ai pas revus depuis très longtemps. Que deviennent-ils ? Kamel de Jijel. Joë de Sétif. Rabah de Mila. Belkacem de Draâ-el-Mizan. Omar de Biskra. Ou encore Mohand Salah de Chemini… Dommage, je n’ai pas de photos de nos instructeurs. Néanmoins, avec le recul, c’est une parenthèse heureuse. Le souvenir est toujours joli. J’ai tous envie de les revoir. Comment faire ? La vie nous a dispersés, ici et là. 
Je repars vers la fenêtre. Il n’y a rien de nouveau, dehors. Il n’y a que l’ombre d’une nuit, qui refuse de s’achever. J’ouvre la fenêtre. Il fait bon à l’extérieur. Je suis tenté de sortir. J’ai peur de réveiller la maisonnée. Mais, que vais-je trouver sous ces ténèbres ? Le vide. Le silence. L’immobilité. Même le hibou, qui niche à côté de chez moi, est silencieux. Aurait-il peur d’une quelconque contagion ? Je ne sais pas. Les animaux cachent toujours leur mort. Je repars vers mon canapé, je change de chaîne, je ne lâche pas la télécommande, il n’y a rien de particulier. Un film, en noir et blanc, je ne reconnais pas les acteurs, ça doit être les années cinquante, je ne suis pas convaincu, je change encore une fois. Alors ? Un documentaire animalier. Encore de la violence, me dis-je. Le guépard, bien sûr, est plus rapide qu’une belle gazelle. Un coup de patte. Hop, le prédateur lui saute à la gorge. Il n’a pas fini de l’étouffer que des hyènes commencent, déjà, à la dévorer. J’ai la chair de poule. Je ne peux voir cette scène. Je quitte le canapé, il me faut prendre un verre d’eau. J’ai cru comprendre qu’il faut boire beaucoup d’eau. L’heure ? Il est toujours l’heure de dormir. Insomniaque et confiné, quel malheur ! 
Puis, d’où il sort ce « baoûch » ? De Chine ? Il n’avait qu’à rester là-bas. Ils ont les moyens, eux. Avons-nous, de notre côté, les moyens de limiter les dégâts ? Selon le président de la République, « la situation est maîtrisée ». C’est juste une manière de nous rassurer, de rassurer le peuple. Même si c’est la langue de bois, de toute façon, on est en plein dedans. Le thé est tiré, il faut le boire. Enfin, chacun boit le thé qu’il veut, même s’il est « kouhoulisé ». Nos bigots n’arrêteront pas de chanter leur laïus. Du reste, on a entendu de tout, avec ces gens-là. Le corona est un virus du « koffar ». Qu’il faut juste prier Dieu et le « baoûch » passera son chemin. Un peu comme lors de l’apparition du VIH, nos bigots n’ont de cesse de vilipender les mœurs dissolues, la fornication et la prévarication du monde entier. En fait, c’est une punition de Dieu. Rien que ça ! Qu’il ne fallait pas fermer les mosquées, le seul rempart à cette pandémie. Franchement, on entend tellement d’inepties. J’ai même entendu un gus, fièrement, face à une caméra : « Wech, le corona ! Le corona, c’est nous le corna. » Et l’autre de renchérir : « Le corona aura peur de nous. » Allez faire une nouvelle République avec ces gens-là ! 
J’arrête de me fatiguer les neurones. Je préfère prendre un ou deux recueils de poésie. Ne dit-on pas que la poésie est un dictame aux souffrances de l’être ? Au hasard de la rangée, « Aussi loin que mes regards se portent… » du regretté Djamel Amrani. Au hasard des pages, je choppe cette citation : « Je tisse mon propre suaire et referme mon tombeau/Ah ! L’arôme que personne n’exhale : ma mort lente/Et l’évidence que tout le monde nie : ma présence/J’écris pour me parfaire pour me désaltérer. » Djamel m’a toujours donné une leçon de vie. J’ai gardé de lui un sourire triste, un regard voilé, une voix rauque, une démarche entêtée et cet éternel poème de la mémoire. 
Que vais-je trouver dans « C’est peut-être comme ça ?! » du peintre du Signe, Denis Martinez ? Des tortues, mon animal fétiche. Des ponctuations poétiques. De l’argile. Des symboles berbères, ici et là. Et des flèches, pour nous indiquer le chemin vers l’humain. Au hasard du tracé poétique : « Je prends, je donne/L’heure n’a plus le temps de vivre/J’envoie, je reçois/Et de brèves manigances/Continuent de pétrir les charniers/Et dans les villes/L’incertitude amasse les hommes/Les froisse et les ratatine. » Salut à toi Denis, nous repartirons un jour, encore, vers cette montagne altière, qui ne renie pas ses résurrections. 
Juste à côté, je mets la main sur « Six arbres de fortune autour de ma baignoire » de Samira Negrouche. Celle qui est médecin de formation ne donne plus signe de vie, pressée certainement d’écrire sa vie de poétesse. Tizi Hibel doit s’ennuyer ferme de l’absence/présence de son enfant. « Hâte-toi l’ami/D’apporter ta mesure/Ici est né un chant/Pour ceux qui se souviennent/Ici est né l’oubli de ceux/Qui abordent/De ceux qui reviennent/Par des portes inconnues/Des sentiers non conquis/Presse-toi étranger/La vague est atteinte/Ici est la mesure/On y entre par la mer. » 
Jean Sénac vient mêler sa voix aux autres. Ils sont nombreux. Ils occupent une large rangée de ma bibliothèque. Ils sont tous là. Dib. Azeggagh. Labter. Djelfaoui. Nacer-Khodja. Sehaba. Tibouchi. Younsi. Kaouah. Djaout. Bouabaci. Kettou. Tighilt… Je ne peux pas tous les citer dans cet espace de parole. Ils sont tous dans mon cœur. Ils sont tous dans ma mémoire. 
Le temps d’une parenthèse poétique, j’ai failli oublier le corona et le confinement. Ah, j’ai oublié l’heure, aussi. Il n’est que 2 h 25 du matin. Je dis pouce. Et je laisse Sénac dire sa sentence : « Si je chante à l’ombre/Moi qui ne marche qu’au soleil/Moi qui ne marche qu’à la pluie/Qui abolit l’ombre et l’insecte/C’est que ma chance étire la nuit/Jusqu’à son heure enfantine/C’est que ma voix mauve saisit /Le premier siècle de la réveillée. »
Y. M.

 

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