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Rubrique Tendances

Journée nooormale !

Aujourd’hui, je vais faire le diariste pour que les instants à venir, nous sommes samedi, journée dite de repos pour ceux qui triment encore, soient gravés sur le papier, noir sur blanc. Dans une autre vie, j’ai assez lu de journaux intimes, quand l’Être fait en sorte de doubler son temps, en ce sens qu’il le vit dans tous les sens du terme, puis, qu’il s’oblige à le revivre en le relatant. C’est une étrange et paradoxale décision. Je n’ai jamais creusé cette question. Je pense que chacun souhaite garder quelque chose du temps qui passe, entre joies, peines, espoirs, déceptions et remises en cause. Personnellement, je suis friand de cette littérature. Le Journal de Mouloud Feraoun m’a donné à comprendre le sens de la gestuelle de cet écrivain, décrié jusqu’à aujourd’hui. Comme Le Journal d’Anne Frank m’a fait saisir, presque physiquement, l’horreur du nazisme, la solitude incommensurable de cette adolescente, sa descente aux enfers, puis sa liquidation. Dieu que ce mot est affreux !
Je n’ai pas le courage ni la détermination de l’ami Mohamed Attaf, écrivain et poète, de tenir un journal durant près de trente ans, journal publié courageusement par les éditions Dalimen, sur trois volumes, sous le titre Chants d’espoir et d’angoisse. J’ai juste le courage d’inscrire cette journée sur du papier pour espérer qu’elle capte la postérité. Donc, le samedi est un jour de repos. Notre week-end est spécial. Nous ne partageons qu’une journée d’arrêt avec le monde. Nous sommes chez nous ; on y fait ce qu’on veut ; demain, on peut décider d’un week-end le mardi et le mercredi ; et alors ? Vive nous ! Bref, on a assez ergoté sur le « vékend » universel ; ça suffit maintenant ; c’est comme ça. Et pas autrement ! Je souhaite faire une proposition à nos décideurs… Puis, non, je ne me mêle pas de ça. Personnellement, je suis en repos tous les jours de la semaine. Vive la retraite ! Je veux juste dire que celui qui a inventé ce mécanisme de la retraite est un fils de famille. Qu’il soit récompensé « dennya w’lakhra ! »
Où vais-je aller, ce matin ensoleillé ? Je n’ai qu’une station, un lieu de rencontre avec les amis qui négocient avec la vieillesse, comme s’il s’agissait d’un trophée à décrocher. Personnellement, dès que je me mets sur la chaise de mon coiffeur préféré, je vois de la neige couvrir mes épaules ; sans coup férir, la voix intérieure me lance cette sentence, comme un sarcasme : « Les carottes sont cuites, vieux. » Je me voûte encore plus. Je sens mon cœur battre la chamade et mes articulations entament leur chant de la douleur. J’avoue, je n’aime pas les carottes cuites, du moins. En salade, peut-être. Sauf que parfois elles ont un goût de mazout. Ma voix intérieure aurait pu me dire : « Les patates sont cuites », au prix où se négocie ce tubercule.
Ihi, d’un pas lourd, je me rends chez l’ami horloger qui, malgré mon insistance, ne m’a jamais convaincu du fait qu’on ne peut pas remonter le temps. Qu’il « soleille », qu’il pleuve, qu’il vente, comme un puzzle, on remet dans l’ordre les pions de nos solitudes respectives. L’ami Nonor, pince-sans-rire, fait dans les piques pour animer les débats ; il le fait bien. L’ami Saïd, le « mouthaqef », tente d’assagir la discussion, en appelant un argumentaire pour convaincre des oreilles pas trop sages. Sans demander son reste, il tire de sa veste son mobile et se met à taquiner Facebook. Il regagne ainsi son coin de solitude. C’est méconnaître Nonor qui, taquin jusqu’au bout, le harcèle sur plusieurs sujets. « Lesquels ?», demande ma voix intérieure. Je préfère ne rien dire pour ne pas offusquer davantage l’ami Saïd, le « mouthaqef ».
Le sujet du jour est déjà posé ; ce sera sur ce temps hivernal. On n’a rien d’autre à se mettre sous la dent. On parlera météo. Des bienfaits de la pluie. Surtout de la neige. On parlera, j’en suis sûr, de la Kabylie qui va reverdir après les gros incendies de l’été passé. À moins que l’ami Mustapha ne verse dans son sujet favori, la JSK. Il est disert là-dessus ; il peut en parler des heures durant, allant de la création de cette équipe, son itinéraire, ses déboires, sa gloire, jusqu’à ce jour où tout semble aller de travers. Mine de rien, il est la mémoire de la JSK, avec documents probants à l’appui. Je les vois s’accrocher avec l’ami Saïd qui, tenace, n’arrête pas de lui porter la contradiction. Ça promet.
Sur le chemin, grâce au masque et au béret vissé sur mon crâne, personne ne me reconnaît, ou à peine. Je vois des regards s’appesantir sur ma bobine, comme je fais l’indifférent, on passe notre chemin incognito. Sinon, ce sera les salamalecs, le poing pour dire bonjour, et l’éternel questionnaire. Ça va ? On ne te voit plus ? Tu as quitté Alger ? Ihi, tu es à la retraite ? Et la santé ? Cheft le Covid a emporté untel ? Tu t’es vacciné ? Wech, tu poétises toujours ? Etc. Je préfère passer mon chemin la tête baissée. J’en aurais assez à écouter avec le trio qui m’attend en bas. Là au moins, sous couvert de l’amitié, tout passe. Même si l’un ou l’autre élève la voix, ce n’est pas jamais dans l’agressivité ; c’est justement toujours pour avoir raison, même à tort.
On dit que l’habitude est une seconde nature. Dans notre cas, c’est vrai. Chaque matin, l’habitude nous ramène dans un esprit de grégarité vers ce lieu rassurant, à plus d’un titre. Même si on rabâche les mêmes sujets, on en a cure ; l’essentiel est de tuer le temps qui, lui, nous tue à petit feu ; ça reste une sensation de douceur. Du moins, on ne ressent aucune douleur. Il ne nous reste pas grand-chose, sinon la nostalgie d’un temps passé que nous magnifions parce que nous étions jeunes, du pain à acheter au quotidien, du journal à voir dans les grandes lignes, sauf affinités, du stationnement à dénicher sans parkingueur, du dessert à choisir entre la mandarine et l’orange, de la montre qu’il faut surveiller pour ne pas déborder ni le temps ni l’espace ; puis, rentrer chez soi et rouler l’après-midi comme le rocher de Sisyphe.
On remettra ce programme demain parce qu’on a l’impression que c’est du nouveau. Puis ça nous botte de nous revoir chaque matin. Tant pis pour les amis qui oublient de s’annoncer. On remettra la discussion sur le feu. On fera du réchauffé ; mais ça passe toujours, c’est comestible. Parfois, c’est meilleur. À moins que le journal ou la toile nous ravitaille d’un thème à débattre, à couper en rondelles, à remettre en question, parfois à tomber dessus à bras raccourcis, souvent à féliciter aussi. Néanmoins, cette station nous maintient en vie quelque part. On en redemande. Pour nous, c’est une journée nooormaaale ! Brel pour conclure : « Non Jef t’es pas tout seul/Mais arrête de sangloter/Arrête de te répandre/Arrête de répéter/Que t’es bon à te foutre à l’eau/Que t’es bon à te pendre/Non Jef t’es pas tout seul/Mais c’est plus un trottoir/Ça devient du cinéma/Où les gens viennent te voir/Allez viens Jef viens. »
Y. M.

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