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Mémoire oublieuse

Une mémoire est forcément oublieuse. Assurément, elle l’est, quand elle oublie de célébrer les noms de ceux qui ont porté le Verbe dans toute sa flamboyance dans un pays austère à souhait. Dès lors, la mémoire humaine devient oublieuse ; elle oublie ceux qui, dans un passé récent, ont donné à l’Algérie la projection du rêve, de la générosité et de l’humanité. 
Mai rappelle le printemps des fleurs et des sourires. Comme il rappelle le délassement des sens et du cœur. Mais il rappelle malheureusement un assassinat abject. Sans nom. Nous étions au temps de la chasse à la lumière. A l’intelligence. A l’ineffable. Nous étions au temps où l’interdit était lié à l’immensité du ciel. Au temps où l’obscurantisme dessinait un quotidien macabre. Aussi, les fleurs du printemps avaient pris, en ce temps, le voile du deuil. De l’affliction. Et des pleurs. En ce temps, l’obscurantisme proposait un ossuaire sans nom. 
Il est dit de lui, pour tenter de justifier son assassinat, qu’il était « communiste, qu’il avait une plume acérée et qu’il influençait les musulmans ». C’était en mai. Dans un parking, le matin, alors que le rêve de la nuit tournait encore dans le cerveau, la mort, en embuscade, est venue festoyer. Il est dit que les tueurs n’ont jamais lu une seule ligne de l’œuvre de ce démiurge. Il est dit, également, que le tôlier a entamé la rédaction de sa fable démoniaque, assassiner un être de lumière. Un poète déterminé. Un écrivain racé. Un journaliste engagé. Un tisseur de rêves. L’écrivain se rendait à son journal, Rupture, tout un programme que faire la rupture dans un pays en proie aux démons. La veille, il était derrière sa machine à écrire dans son F3 de Baïnem, un quartier qui sent bon l’iode marine. Il peaufinait son « dernier été de la raison. » Qui a dit qu’il n’y a pas, quelque part, de prémonition ? L’écrivain démarre son véhicule, une 309 blanche. Un diable sort de la fable du tôlier, tire sur l’écrivain, en visant la tête, lieu du rêve, de la magie, du génie, de l’entière humanité, du soleil d’Oulkhou, du bleu de la Méditerranée, de l’enfance à Iboudja… Puis, la fuite pour l’assassin. Le trépas pour l’écrivain. Mais a-t-il tué, pour autant, le rêve de l’écrivain ?
Tahar Djaout venait d’être victime d’un attentat terroriste dans une Algérie qui allait connaître une dizaine d’années d’un cauchemar sans nom. Nous sommes en mai, un mois où certainement un printemps va inscrire, sur ses tablettes fleuries, un lever de soleil démocratique. C’est dans cet imbroglio politique national que ma mémoire tance mon esprit des noms de ceux qui nous ont quittés. Tahar Djaout me revient d’abord avec son sourire qu’il portait comme une carte de visite. Le plus beau sourire de la littérature algérienne, disais-je à l’époque ! Il y en a d’autres, bien sûr ! 
De la poésie, Tahar Djaout est passé au roman, après avoir écrit un texte-passerelle, L’exproprié. Ce long poème de toutes les confluences est venu clôturer une expérience poétique qui voulait changer le monde extérieur. Le monde intérieur, lui, est en adéquation totale avec le poème, Africanité, ma peau. Puis, le journalisme où Tahar Djaout était une plume affirmée, lui le matheux ! Et des romans qui lui valurent le prix Méditerranée (1991). Les vigiles, roman de la dissection sociopolitique, vient préfigurer le Hirak du 22 février, même si des archaïsmes se font encore entendre. 
La mémoire est obligatoirement oublieuse. La mémoire oublie les siens. Nous oublions les nôtres. Comment ? En baptisant un semblant de jardin public où les fleurs ont pris la clé des champs et où la propreté est une illusion d’optique. Juste en face d’une mosquée, s’il vous plaît ! La conscience est quitte, disent-ils ! On enterre bien nos morts. Profondément. Les dalles de schiste sont cimentées désormais. Comme pour empêcher le mort de revenir hanter les vivants. L’assassinat de Tahar Djaout n’empêche pas le rappel de l’assassinat du « fils du pauvre », un certain 15 mars 62, à deux doigts du cessez-le-feu d’une guerre douloureuse pour notre peuple. Mouloud Feraoun rejoint Tahar dans une violence jumelle, car il est dit que l’écriture est un lieu de péril. Quand Mouloud Mammeri se fait « flinguer » par un arbre assassin. Alors qu’Alloula, le goual, reçoit à son tour la violence d’une décennie rouge. Ainsi, Cheb Hasni ne chantera plus « Lamnaïfa » dans Oran, la bien nommée. Justement, là-bas, à Oran, le silence de Mohamed Sehaba est un mauvais présage poétique. 
Puis Alger a perdu son poète. Qui ne hante plus ses rues. Djamel Amrani ne sortira plus de sa besace son dernier recueil de poésie, qu’il oppose à l’indifférence sociale. Désormais, ses regards ne portent pas loin, ici-bas. Mais ils fixent l’éternité de la mort, comme dans un poème de « Bivouac des certitudes », quand il lui fallait chanter l’espérance de Juillet 62. Djamel Amrani n’ira plus à la radio nationale dire ses rêves rimés. Il y a d’autres contingences, désormais. Plus personne ne déclame sa poésie. Nulle part ! La poésie se conjugue, dès lors, au futur antérieur ; elle est objet d’étude d’une archéologie d’un futur de l’incertitude. Djamel Amrani est mort d’une autre violence, celle de l’indifférence de sa société. D’une overdose de solitude. Parce qu’il assumait sa différence. Parce que, tout simplement, il était poète jusqu’à la rupture des nerfs. Mais, il y avait aussi Mohamed Dib, dont le souvenir se confond avec un prix du meilleur roman. Il y avait, d’un autre côté, Malek Haddad qui nous rappelle que l’élève ne retient pas souvent sa leçon. Jetez un coup d’œil dehors, et vous aurez la réponse ! Ce fut une autre époque ! Celle de l’engagement sans faille ! Comment oublier le regard bleu azur d’Ahmed Azeggagh, lui qui, poète, n’a jamais recherché la reconnaissance. Les récifs du silence furent le lieu de ses tourments, de sa solitude, de ses rêves et de ses amitiés. Ceci, quand Kateb Yacine fut exilé à Sidi-Bel-Abbes. Quand Nedjma est dite comme un immense cri d’amour ! Quand l’amour d’une femme se métamorphose en un patriotisme indicible ! Et aujourd’hui, plus que jamais, je vois Hamid Nacer-Khodja, dans son coin du ciel, me réciter « La profonde terre du verbe aimer ».
Mémoire oublieuse ? Il a fallu que j’«oxymore » le titre de cette chronique pour convoquer les miens. Et leur dire que le printemps n’a plus le goût du printemps, sachant que le désespoir gerce les trottoirs de notre pays. 
Y. M.

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