Actualités : UNE JOURNÉE SUR UNE PLAGE ALGÉROISE
Quand le bikini côtoie le burkini
Les plages algériennes ont finalement cette
particularité d'offrir à qui les observe bien, un tableau parfait des
différentes franges de la composante algérienne. Des images colorées,
des scènes souvent révélatrices de profondes différences sur un fond
d'anarchie qui profite à certains.
Abla Cherif - Alger (Le Soir) - Le vieux propriétaire du
restaurant qui jouxte la plage de la «Madrague» les surnomme les
«requins». Eux ne s'en plaignent pas, ils en ont entendu d'autres et ne
s'en sont pas offusqués pour autant. Ces jeunes qui gravitent autour des
lieux depuis de longues années font désormais partie du décor.
Les habitants du quartier les connaissent, et eux aussi ont fini par
s'habituer aux visages de ces familles qui fuient les grosses chaleurs
des villes. Entre les deux, une courtoisie souvent feinte, avec certains
des disputes éclatent parfois en raison des prix proposés. 500 DA une
table et quatre chaises demeure une somme élevée pour tous ces pères de
famille que les enfants attendent avec impatience en fin de journée pour
un plongeon à la mer. «Multipliéé par trois, plus les jours de week-end,
cela fait près de 5 000 DA la semaine. Les prix ont baissé certes, car
auparavant les tarifs étaient fixés à 1 000 DA pour la seconde rangée et
1 500 DA pour les tables au bord de l'eau, mais 500 DA, c'est encore
cher payé».
Les querelles éclatent le plus souvent à l'arrivée, lorsque les familles
se voient exiger le paiement immédiat des places qu'elles n'ont pas
forcément choisies. «J'ai envie de m'allonger sur le sable, nous avons
aussi nos chaises et notre parasol, mais comme toujours, il n'y a pas de
place pour nous, les tables occupent tout l' espace, on est forcé d'en
prendre une. Je ne sais même pas si je vais me plaire ici, et il me
demande de payer avant même que je m'installe», se plaint un père
accompagné de sa famille. Cette fois pourtant la discussion tourne
court. Les jeunes versés dans le commerce des tables et parasols
craignent visiblement d'attirer l'attention des policiers qui circulent
en permanence sur la route non loin de là. Aujourd'hui leur présence
dissuade aussi les fameux «parkingueurs» aux sacoches bourrées de pièces
de 100 DA obtenues auprès des automobilistes qui garent ici.
Depuis l'ouverture de la saison estivale, une petite partie de la route
a été réquisitionnée par un entrepreneur privé qui a monté un aquapark.
L'espace est réservé aux personnes désirant plonger du haut des jeux
gonflables qui flottent sur la mer.
Pour installer son aquapark, le responsable du projet a obtenu un
agrément qui lui a permis de s'approprier une partie de la plage au
grand désarroi des habitués des lieux contraints à se serrer dans
l'espace restant. Sous des parasols aux couleurs chaudes, les citoyens
tentent de marquer leur territoire comme ils peuvent : en laissant
traîner des serviettes, des chaussures, ou des jouets de plage.
Des images révélant de profondes différences de mode de vie retiennent
l'attention. Des jeunes filles en bikini évoluent entre mer et sable
sans se soucier des regards. Les plus prudes enfilent un short en jean
ou un paréo après la baignade. Les autres préfèrent se dorer à peine
vêtues sans prêter attention à toutes celles qui étendent des draps
autour du parasol pour éviter ces images qui dérangent. Mais dans l'eau,
impossible de faire autrement que de se côtoyer. Des femmes en hidjab,
en pantalon et tee-shirt, robes longues qui collent au corps une fois
mouillées, jeunes filles en maillot deux pièces dansant sur des planches
de surf, maillots adidas adhérents aux formes, des hommes en tricot de
peau et shorts longs...
Les flots vont et viennent soulevant les célèbres sachets plastiques
noirs et autres détritus repoussants. Ils accentuent le vertige de ceux
qui observent de trop près les scènes qui se répètent, qui se
poursuivent même à la tombée de la nuit lorsque les familles arrivent
avec une bougie et un sac plein de nourriture savourer le repas du soir
loin de la chaleur d'Alger. Puis, lorsque le muezzin appelle à la
prière, les fidèles se tournent vers la qabla pour accomplir leur
devoir. Un peu plus loin, des jeunes s'adonnent à une partie de domino
sous des airs de raï.
Dans une voiture, radio Boumerdès transmet une émission religieuse au
cours de laquelle un auditeur demande à un religieux si l'Islam lui
permet de se rendre sur toutes ces plages où les femmes osent à nouveau
nager en bikini... Toutes les franges de la société algérienne réunies
le temps d'une journée à la plage.
A. C.
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